C’est l’histoire que j’oppose à M. de Girardin, non la logique : c’est l’expérience du passé, non la chance de l’avenir. […] Les disciples de Turgot en leur temps, les Condorcet et autres en ont fait la rude et cruelle expérience.
Mais plus tard, à Lyon, quand pour vivre il ajoute à ses travaux d’humaniste, à sa médecine, à ses almanachs une bouffonne imitation des vieux romans, il y tire sa principale inspiration des profondeurs de son expérience ; le souvenir de ses plus essentiels instincts comprimés et menacés pendant tant d’années met dans l’œuvre comme deux points lumineux : la lettre de Gargantua à Pantagruel, et l’abbaye de Thélème. […] Souvenirs ou expériences, il fait tout servir à exprimer tous les aspects de la vie.
Il est d’usage de louer l’invention du caractère de Gil Blas : ce garçon qui est si peu héros de roman, bon enfant, sans malice, sans délicatesse, sans bravoure, mais admirablement résistant par le manque même de profondeur, qui ne prend jamais la vie au tragique, qui se relève et se console si vite de toutes ses disgrâces, toujours tourné vers l’avenir, jamais vers le passé, toujours en action, jamais rêveur ni contemplatif, que l’expérience mène rudement de la vanité puérile à l’égoïsme calculateur, et qui finit par s’élever assez tard à une solide encore qu’un peu grosse moralité ; ce personnage-là, dit-on, c’est notre moyenne humanité. […] Ils ne nous font pas grâce d’une des conclusions de leur expérience.
En Angleterre, où l’on est moins prompt à sourire et à se décourager qu’en France, les expériences vont leur train. […] En France, les expériences du colonel de Rochas, les travaux d’Édouard Schuré, de Flammarion…, achèvent d’orienter les recherches vers les manifestations de l’Au-delà et de porter des coups redoublés à la doctrine du matérialisme officiel.
Tout comme le concept d’espace se résout en expériences tout à fait différentes de ce concept ; de même il est probable que le sentiment d’affection ou de respect est composé d’éléments, fort distincts chacun, du tout qu’ils composent. […] Évidemment, on ne peut accepter ni la doctrine qui soutient l’immutabilité absolue de la morale, à laquelle les faits donnent le plus éclatant démenti, ni la doctrine de sa mobilité absolue qui n’est pas moins contredite par l’expérience.