Mais l’expérience de l’Orient lui avait appris qu’il serait mis plus bas que le dernier des bonzes mendiants, et promené d’avanie en avanie, s’il se départait une minute des exigences les plus altières. […] … À part les horreurs dont nous parlions, et que Huc prédit à la Chine d’après l’expérience qu’il a de la férocité foncière de son peuple, la victoire, certainement, n’entraînera rien que de grêle, de petit, d’insignifiant, — des changements dans l’ordre des fonctionnaires, dans le personnel du mandarinat.
Le résidu de l’expérience de ces ironiques nihilistes, c’est le résidu de notre propre expérience. […] Les adversaires de cette union de la science et de la poésie invoquent l’expérience. […] L’éducation inaugure ce siège en introduisant dans notre esprit une énorme quantité d’idées adventices, résultat de l’expérience d’autrui, que l’enfant doit s’assimiler, au lieu de créer ses propres idées d’après son expérience propre et ses besoins intimes. […] La sensibilité sociale qui sert à l’observateur d’instrument d’expérience s’affine en lui à mesure qu’il l’emploie. […] Il devance l’expérience de la vie et il s’attribue les passions qu’il n’a pas éprouvées encore, avec une énergie d’imitation qui parfois outre le modèle.
Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience.
Notre conception de la durée traduisait en effet une expérience directe et immédiate.
Nom vénérable et presque sacré, plus mystérieux et plus voilé que ceux de Socrate et de Platon, à peine plus dessiné à nos yeux et plus distinct que celui d’Homère, on ne t’interrogeait qu’avec respect et religion ; on supposait derrière ta science toutes sortes de sciences perdues, on voyait dans ton expérience le résumé de toutes les expériences ; on sentait en toi, aux bons endroits lumineux, l’universalité d’une doctrine, le lien de l’observation comparée, partout le sentiment de la vie ; on voulait tout comprendre, on espérait t’arracher de derniers secrets ; on te demandait presque des oracles. […] Je regrette que ce ne soit pas ici le lieu d’entrer dans le détail des commentaires si sagaces et si fins qu’il donne de quelques-uns des aphorismes, notamment de ce premier aphorisme si célèbre : « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile. […] Hippocrate ouvrirait-il son livre par cet avertissement solennel concernant l’occasion fugitive, s’il n’avait été frappé des malheurs causés par d’irréparables hésitations, et s’il n’avait senti par expérience toute la responsabilité des heures perdues ? […] Les choses purement littéraires, s’il les traite par ce procédé, peuvent quelquefois souffrir d’être prises et serrées comme dans un étau ; j’aimerais mieux, par moments, un ignorant sagace ou un sceptique allant à l’aventure en chaque étude, s’y éveillant chaque jour d’une vue matinale, recommençant et rafraîchissant chaque fois son expérience, comme s’il n’avait pas de parti pris.