Quand ce qu’il a apporté d’idées neuves et justes aura passé dans les manuels élémentaires, et que les historiens verront surtout les témérités ou les erreurs de ses livres, il demeurera entier dans la littérature, comme Montesquieu et comme Michelet. […] Mais toutes les suggestions de la personnalité, les pressions du milieu prennent vite chez Fustel de Coulanges la forme scientifique : elles deviennent des idées d’enquêtes historiques, qu’il poursuit méthodiquement, sans parti pris, cédant aux textes critiqués, contrôlés avec la dernière rigueur ; et s’il reste une cause d’erreur, elle est dans l’infirmité humaine, dans la complaisance dont le plus sévère esprit ne peut se défendre pour les pensées qui sont sa conquête ou sa création, dans la facilité avec laquelle il laisse écouler toujours un peu de lui-même dans les choses, et sollicite l’imprécise élasticité des textes. […] Si souvent qu’on le prenne en faute, si nombreuses qu’aient été ses erreurs certaines et ses hypothèses téméraires — je m’en rapporte absolument aux gens compétents, — il reste que nous n’avons en France aucun travail synthétique qui se compare à ces deux ouvrages.
Mais Buffon n’en a pas fermé l’entrée à d’autres erreurs de son temps. […] De là ses descriptions passionnées, et parmi des erreurs que la science a redressées avec son aide, un sentiment de la vie, de la beauté, de la force dans les animaux, de la convenance de leur organisation à leurs besoins, de leurs mœurs à leurs destinées, qui rachète le tort du grand naturaliste en nous rendant plus sensible le Dieu dont il s’est passé. […] Il rectifie ses premières vues par les expériences récentes, se consolant de s’être autrefois trompé par la pensée qu’on se servait de ses vérités pour redresser ses erreurs.
Malheureusement ses démonstrations anatomiques sont faites sur des mannequins bourrés de paille et, si on les applique à des êtres vivants, on s’aperçoit qu’elles forment — épines sèches et fleurs fanées — le plus banal fagot d’erreurs connues et de vérités triviales. […] Mais précisément parce qu’au pays des faits, il lui arrive d’être un guide sûr, je relèverai chez lui deux erreurs matérielles. […] Si ce que je prends pour une erreur était une malice — … M.
Ces divisions infinies annonçaient, par leurs précautions multipliées, une intelligence avertie de l’étroitesse de la route et du débordement d’erreurs qui l’entoure, décidée à ne pas faire un pas avant d’avoir exploré ou assuré le terrain qu’elle allait fouler. […] Les réfutations, principalement, sont admirables ; il est impossible de mieux posséder son sujet, de pénétrer plus complètement le fort et le faible des systèmes, de mettre plus exactement et plus visiblement le doigt sur l’origine des sophismes, de démêler et de corriger plus sûrement les déviations par lesquelles une doctrine vraie fléchit et va se perdre dans l’erreur. […] Il ne réduisait point les grands mots métaphysiques aux expressions simples et familières qui les éclaircissent, les rendent palpables et permettent à l’esprit d’en démêler la vérité ou l’erreur, D’ailleurs, par métier peut-être, il y répugnait.
Tant de religions diverses et tant de philosophies contraires, tant de vérités renversées et tant d’erreurs soutenues, ont montré que l’établissement et la chute des opinions dépendent non de leur absurdité ou de leur évidence, mais de la conformité ou de l’opposition qui se rencontre entre elles et l’état des esprits. […] Jouffroy parmi les monades de M. de Biran, l’a conduit à considérer les facultés comme des choses réelles, véritables objets de la psychologie ; à emprisonner la psychologie dans une question de mots scolastique et oiseuse ; à exprimer les faits par des notations vagues, inexactes en elles-mêmes et grosses d’erreurs. […] Avant de saisir une vérité, il faut traverser dix erreurs ; avant d’écrire un caractère utile sur la face éclairée de la pierre, il faut multiplier, raturer, enchevêtrer les caractères inutiles sur les faces obscures.