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539. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise. […] Mais je continue de donner la description tout agréable : « C’est dans une soirée d’automne, lorsque les lumières qui brillent de toutes parts décèlent les maisons modestes des cultivateurs, cachées sous des treilles ou des groupes d’arbres fruitiers et d’oliviers ; lorsque des flambeaux de paille errant sur tous les sentiers font remarquer les paysans qui vont gaiement se réunir chez leurs voisins et passer les veillées ensemble ; lorsque les croupes arrondies des montagnes, que les oliviers semblent velouter, se dessinent dans le ciel le plus pur, c’est alors que le spectacle des collines rappelle les idées les plus romanesques. […] c’est comme un court mariage ; toujours et toujours ensemble, on se voit trop ; les défauts ne trouvent pas de coin pour se cacher : un enfant gâté, comme elle, de la nature et du monde, doit, certes, avoir les siens pour le matin, pour les moments de fatigue et d’ennui ; et je connais quelqu’un qui se cabre, lorsqu’il rencontre une tache chez les gens qu’il aime.

540. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Mais on veut plus, on veut un détail exact, infini ; on s’attache à certaines figures plus qu’à la marche de l’action et à l’ensemble même des choses ; on s’intéresse individuellement à ceux qui seront bientôt des victimes, et dès l’abord on épouse leur destinée. […] Elle avait, en effet, l’éclat plus que la beauté, et cette harmonie qui fait que, chacun des traits pris séparément n’ayant rien de très remarquable, l’ensemble est du plus vif agrément. […] La comtesse d’Artois, qui fait contraste, est assez joliment croquée : « Ma nouvelle belle-sœur est toute petite de taille, avenante de figure et fraîche comme une rose, avec un nez qui n’en finit pas ; mais tout cela compose un ensemble agréable, souriant, qui plaît.

541. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Les poésies de Mme Desbordes-Valmore, qui, nées ainsi du cœur, n’ont aucun souci d’art ni d’imitation convenue, réfléchissent pourtant, surtout à leur source, la teinte particulière de l’époque où elles ont commencé, et rappellent un certain ensemble d’inspirations environnantes. […] Cette image du violon brisé, puis rajusté et trouvé plus sonore, cette particularité technique, si difficile, ce semble, à rencontrer et à exprimer, et qui prouve que les poëtes savent toujours ce dont ils ont besoin, s’applique en toute exactitude à Mme Desbordes-Valmore, sauf que le rajustement mystérieux est demeuré inachevé en quelques points ; imperfection, d’ailleurs, qui nuit peu à l’ensemble et qui est une grâce39. […] A part quelques grands poëtes qui soutiendront de l’ensemble de leur œuvre l’assaut du temps, qui de nous oserait en désirer pour lui, en espérer davantage ?

542. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

S’il s’était contenté de nous trouver un peu sévère, un peu rigoureux ce jour-là, nous nous abstiendrions de réclamer, ne pouvant trouver étonnant qu’on nous rendît à nous-même ce dont nous usions envers un autre ; mais la manière dont M.de Loménie présente l’ensemble de notre opinion, et dont il la combat dans les moindres détails, nous obligeait à dire tôt ou tard quelques mots, sous peine de paraître battu, ce qui est toujours désagréable quand on sent qu’on ne l’est pas. […] Lui qui, comme homme, s’en prenait si volontiers à une fatalité désastreuse, il était l’avocat le plus intrépide et le moins hésitant de toute liberté publique ; une fois à la Minerve ou à la tribune, il croyait et il disait qu’en laissant beaucoup faire aux hommes, aux individus dans la société, il en résulterait le plus grand bien, la plus grande justice et la meilleure conduite de l’ensemble. […] Aux hommes vraiment politiques, à ceux qui auraient gardé quelque chose du grand art de conduire et de gouverner les autres, il serait par trop simple et peut-être injuste de demander l’exacte moralité du particulier : ils ont la leur aussi, réglée sur la grandeur et l’utilité de l’ensemble ; mais à tous ceux qui prétendent encore à ce titre d’hommes politiques, ne fussent-ils toute leur vie que des hommes d’opposition, on a droit de demander du sérieux, et c’est là le côté faible, qui saute aux yeux d’abord, dans la considération du rôle de Benjamin Constant : une trop grande moitié y parodiait l’autre.

543. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Ils n’ont pas l’instrument intérieur qui divise et discerne ; ils pensent par blocs ; le fait et le rêve leur apparaissent ensemble et conjoints en un seul corps  Au moment où l’on élit les députés, le bruit court en Provence742 « que le meilleur des rois veut que tout soit égal, qu’il n’y ait plus ni évêques, ni seigneurs, ni dîmes, ni droits seigneuriaux, qu’il n’y ait plus de titres ni de distinctions, plus de droits de chasse ni de pêche ; … que le peuple va être déchargé de tout impôt, que les deux premiers ordres supporteront seuls les charges de l’État ». […] Mais leur effet d’ensemble est plus pernicieux encore ; car, de tant de travailleurs qu’elles ruinent, elles font des mendiants qui ne veulent plus travailler, des fainéants dangereux qui vont quêtant ou extorquant leur pain chez des paysans qui n’en ont pas trop peur pour eux-mêmes. « Les vagabonds, dit Letrosne759, sont pour la campagne le fléau le plus terrible ; ce sont des troupes ennemies qui, répandues sur le territoire, y vivent à discrétion et y lèvent des contributions véritables… Ils rôdent continuellement dans les campagnes, ils examinent les approches des maisons et s’informent des personnes qui les habitent et des facultés du maître  Malheur à ceux qui ont la réputation d’avoir quelque argent ! […] Affamés et maraudeurs, tous marchent ensemble, et le besoin se fait le complice du crime.

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