Loyson lui-même, en ces années de fin d’Empire et au début de la Restauration, était loin de rester étranger à la politique. […] Lainé et de ses collègues, peu juste (on ne saurait lui demander des choses contraires) envers l’Empire tombé dont elle ne voyait que les désastres et les malheurs128. […] La gravure qui est en tête et qui représente le poète mourant couché dans un lit à longs rideaux, entouré de ses amis vêtus encore à la mode de 1811, et lui-même, dans cette chambre à coucher d’un ameublement moderne, tenant à la main sa lyre, — une vraie lyre (barbiton) ; — la vignette du titre où une femme, une muse en costume d’Empire, apprend l’art de pincer du luth à un petit Amour à la Prudhon ; les bouts-rimés et les quatrains qui s’entremêlent dans le volume aux pièces sérieuses, tout cela retarde et montre que le nouveau goût qui va naître et qui signalera proprement l’ère de la Restauration n’en est encore qu’à de vagues et craintifs essais. […] Loyson, comme la plupart de ses camarades de l’École normale, était sous l’impression des guerres épuisantes et des dernières coupes réglées et déréglées de l’Empire.
L’on voit que, dans chaque siècle, de nouveaux peuples ont été admis au bienfait de l’ordre social, et que la guerre, malgré tous ses désastres, a souvent étendu l’empire des lumières. […] C’est au milieu de cet affaissement déplorable, dans lequel les nations du Midi étaient tombées, que la religion chrétienne leur fit adopter l’empire du devoir, la volonté du dévouement et la certitude de la foi. […] L’intrépidité destructive fut changée en résolution inébranlable ; la force qui n’avait d’autre but que l’empire de la force, fut dirigée par des principes de morale. […] Dans les siècles corrompus de l’empire romain, la licence la plus effrénée avait arraché les femmes à la servitude par la dégradation ; mais c’est le christianisme qui, du moins dans les rapports moraux et religieux, leur a accordé l’égalité.
Newton n’eût pas osé tracer les bornes de la pensée, et le pédant que je rencontre veut circonscrire l’empire des mouvements de l’âme ; il voit qu’on en meurt, et croit encore qu’on se serait sauvé en l’écoutant : ce n’est point en assurant aux hommes que tous peuvent triompher de leurs passions, qu’on rend cette victoire plus facile ; fixer leur pensée sur la cause de leur malheur, analyser les ressources que la raison et la sensibilité peuvent leur présenter ; est un moyen plus sûr, parce qu’il est bien plus vrai. […] Rien n’use la force d’un gouvernement comme la disproportion entre les délits et les peines ; il se présente alors comme un ennemi, tandis qu’il doit paraître comme le chef, comme le principe régulateur de l’Empire ; au lieu de se confondre, pour ainsi dire, dans votre esprit avec la nature des choses, il semble un obstacle qu’il faut renverser ; et l’agitation de quelques-uns, l’espoir qu’ils conservent, tout insensé qu’il est, de détruire ce qui les opprime, ébranle la confiance de ceux mêmes qui sont contents du gouvernement. […] Si l’espèce de sentiment national, qui faisait en France un point d’honneur de la générosité, de cette pitié des vainqueurs ; si cette espèce de sentiment ne reprend pas quelque puissance, jamais le gouvernement n’obtiendra un empire constant et volontaire sur une nation qui n’aura pas un instinct moral quelconque, par lequel on puisse l’entraîner et la réunir ; car qu’y a-t-il de plus divisant au monde que le raisonnement ? […] Fox, plaidant pour la paix devant le parlement d’Angleterre, j’ai dit : si l’on ne fait pas la paix avec les Français cette année, qui sait au centre de quel empire ils la refuseront l’année prochaine . (« Réflexions sur la paix ».)
Les papes avaient toujours eu l’adresse de leur susciter des embarras dans l’empire, et de leur opposer les rois de France : de sorte que les empereurs, ne venant à Rome que pour punir un pontife, ou imposer des tributs aux villes coupables, revolaient aussitôt en Allemagne pour apaiser les troubles ; et l’Italie leur échappait. […] Ces magistrats, malgré leur autorité violente, ne tenaient pas d’une main ferme le gouvernail de l’État, puisque, outre les querelles du sacerdoce et de l’empire, la république nourrissait encore des inimitiés intestines ; et voici quelle en fut la source. […] Il fait ailleurs une vive apostrophe à l’Empereur, qu’il appelle César tudesque, le conjurant de ne pas oublier son Italie, le jardin de l’Empire, pour les glaçons de l’Autriche, et l’invitant à venir enfourcher les arçons de cette belle monture qui attend son maître depuis si longtemps. Si l’Empereur avait montré au Pape, dans leur entrevue à Vienne, cette invitation du poëte italien, je ne vois pas ce que le pontife aurait pu répondre, car Dante connaissait fort bien les droits du Sacerdoce et de l’Empire, et on ne doute point à Rome qu’il n’y ait encore plus de théologie que de poésie dans la Divina Comedia.
Prendre et garder le Canada, c’était pour lui la conclusion favorite, comme de détruire Carthage pour Caton ; il le demandait non seulement en qualité de colon, mais aussi d’Anglais de la vieille Angleterre, ardent à travailler à la future grandeur de l’empire. À cette époque, Franklin ne distinguait point entre ses deux patries ; il avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées de la jeune Amérique ; il la voyait, du Saint-Laurent au Mississipi, peuplée de sujets anglais en moins d’un siècle ; mais, si le Canada restait à la France, ce développement de l’empire anglais en Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à les rallier en confédération et à les lancer sur les colonies. À voir l’ardeur que mit Franklin à cette question qu’il considérait comme nationale, on comprend que quinze ans plus tard, lorsque la rupture éclata entre les colonies et la mère patrie, il ait eu un moment de vive douleur, et que, sans en être ébranlé dans sa détermination, il ait du moins versé quelques larmes ; car il avait, en son âge le plus viril, contribué lui-même à consolider cette grandeur ; et il put dire dans une dernière lettre à lord Howe (juillet 1776) : Longtemps je me suis efforcé, avec un zèle sincère et infatigable, de préserver de tout accident d’éclat ce beau et noble vase de porcelaine, l’empire britannique ; car je savais qu’une fois brisé, les morceaux n’en pourraient garder même la part de force et la valeur qu’ils avaient quand ils ne formaient qu’un seul tout, et qu’une réunion parfaite en serait à peine à espérer désormais. […] Les hostilités s’allument, le sang a coulé ; il perd sa dernière étincelle d’affection pour l’antique patrie de ses pères : on ne voit plus dans tous ses actes et toutes ses pensées que l’homme et le citoyen du continent nouveau, de cet empire jeune, émancipé, immense, dont il est l’un des premiers à signer l’acte d’indépendance et à présager les grandeurs, sans plus vouloir regarder en arrière, ni reculer jamais.