Ainsi les doctrines littéraires commençaient aussi à s’ébranler et à devenir matière de doute. […] Rien ne devait donc encourager les auteurs à apporter dans leur doctrine un esprit de sagesse et de modération qu’on ne goûtait pas alors. […] Il convient de rechercher jusqu’à quel point tous ces mots de secte, de doctrine, de système, et même de philosophie, sont applicables à la circonstance. […] Ainsi se formaient des corps de doctrine construits avec conséquence et méthode, et textuellement exposés. […] Ainsi la doctrine de la souveraineté du peuple conduit à ne pas prendre de précaution contre le pouvoir, et par là elle est pernicieuse à la liberté.
Tout parti qui réussit devient conservateur, et toute doctrine qui a du succès se moralise et s’épure et s’élève autant que sa nature et son essence le comportent. […] L’humanité rêvera toujours, et d’instinct repoussera toujours toute doctrine qui se laissera trop comprendre pour permettre qu’on la rêve. […] — Je le crois bien, puisque cette doctrine n’est pas autre chose que les faits eux-mêmes décorés d’appellations théologiques. […] C’était pour lui une sûreté, un agrément, une arme, et presque une doctrine. […] De tout grand critique on peut tirer un corps de doctrine, en surprenant les moments où, sans qu’il y songe, sa façon de rendre compte est une manière de recommander.
Cette croyance pure, morale, antique, existait ; c’était la vieille religion du Christ, ouvrage de Dieu suivant les uns, ouvrage des hommes suivant les autres, mais, suivant tous, œuvre profonde d’un réformateur sublime ; réformateur commenté pendant dix-huit siècles par les conciles, vastes assemblées des esprits éminents de chaque époque, occupées à discuter, sous le titre d’hérésies, tous les systèmes de philosophie, adoptant successivement sur chacun des grands problèmes de la destinée de l’homme les opinions les plus plausibles, les plus sociales, les adoptant, pour ainsi dire, à la majorité du genre humain ; arrivant enfin à produire ce corps de doctrine invariable, souvent attaqué, toujours triomphant, qu’on appelle unité catholique, et au pied duquel sont venus se soumettre les plus beaux génies ! […] Que pouvait-il y avoir de commun entre un jeune soldat qui venait d’étouffer la dernière étincelle de liberté représentative dans son pays, et qui méditait déjà la suppression du Tribunat, comme il avait accompli l’asservissement par l’épée du Corps législatif, et le tribun aristocratique et quelquefois démagogique de l’Angleterre, qui avait inoculé par tous ses discours les doctrines et même les anarchies de la Révolution française à son pays ? […] C’est ce qu’il faisait à Paris, en affectant l’estime pour un génie de parole dont il méprisait au fond les doctrines. […] Thiers pourra-t-il se plaindre d’avoir à subir comme citoyen les doctrines qu’il aura encouragées comme moraliste ?
Dès qu’une doctrine me barre l’horizon, je la déclare fausse ; je veux l’infini seul pour perspective. […] Aujourd’hui nous ne concevrions plus de grande éloquence sur une tombe sans un doute, un voile tiré sur ce qui est au-delà, une espérance, mais laissée dans ses nuages, doctrine moins éloquente peut-être, mais certainement plus poétique et plus philosophique qu’un dogmatisme trop défini, donnant, si j’ose le dire, la carte de l’autre vie. […] Les théologiens ont raison quand ils disent qu’il faut avant tout discuter le fait : cette doctrine est-elle la parole de Dieu ? […] Je ne connais rien de plus touchant et de plus naïf que les efforts que font les croyants, emportés forcément par le mouvement scientifique de l’esprit moderne, pour concilier leurs vieilles doctrines avec cette formidable puissance, qui les commande quoi qu’ils fassent.
On ne pouvait discuter que des points de doctrine secondaires qui, non prévus ou n’ayant qu’une faible portée, n’avaient pas été fixés pour l’éternité. […] Il s’ensuit qu’elles redoutent la philosophie qui invite à réfléchir et incline à discuter les opinions traditionnelles ; c’est pourquoi sans doute les Jésuites étouffèrent avec tant d’acharnement les théories de Descartes, bien qu’il fût sorti d’un de leurs collèges ; c’est pourquoi ils aimaient mieux passer sous silence que réfuter les doctrines non orthodoxes. […] Chaque école a pris soin de condenser en corps de doctrines ses idées esthétiques, et les systèmes en isme, romantisme, réalisme, symbolisme, illusionisme, etc., ont pullulé avec surabondance. […] Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, I,421.