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813. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

La proposition des députés suisses fut faite dans une assemblée générale convoquée au Chiabas le 23 mars ; la séance s’ouvrit par une prière que prononça le pasteur Arnaud ; retenez ce nom, déjà porté avec tant d’honneur en France depuis plus de quarante ans par un illustre persécuté : ici, dans les vallées, cet Arnaud n’est pas seulement un théologien, c’est un homme pratique, un grand caractère en action ; né dans le Dauphiné et d’abord pasteur français, il était devenu pasteur Vaudois, et de pasteur il devint capitaine quand il le fallut, et plus tard, comme Josué, conducteur de peuple. […] Ils sont mal couchés, mal nourris, et les uns sur les autres ; et celui qui se porte bien ne peut respirer qu’un air empesté : par-dessus tous ces maux, la tristesse et la mélancolie causée avec justice par la perte de leurs biens, par une captivité dont ils ne voient point la fin ; la perte ou au moins la séparation de leurs femmes et de leurs enfants, qu’ils ne voient plus et qu’ils ne savent ce qu’ils sont devenus. […] Aussi toutes les lettres que nous trouvons sur eux ne sont-elles remplies que d’exhortations dont le texte est pris sur les Machabées. » M. de Chaulnay, qui était venu en mission à l’armée de Piémont, écrivait au roi le 4 mars 1692 : « Il faudra que M. de Catinat fasse encore donner une bonne touche aux Barbets, rompre les eaux et détruire les vignes et les arbres fruitiers, afin de tâcher d’extirper entièrement cette canaille… » Sachons, pour être juste, ce que les Barbets aussi étaient devenus. […] Il fut encore deux ou trois ans avant de le devenir. […] Des divers généraux que Louis XIV avait alors sous la main, nul n’était plus propre que Catinat à cette guerre du Piémont qui était devenue en quelque sorte sa spécialité, sa partie d’échecs et ses qualités, ses défauts même de trop de réserve et de prudence convenaient également aux fins proposées.

814. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Un général comme Catinat qui veut qu’il y ait discipline dans ses troupes, qu’on ne pille pas l’habitant, qu’on ne mange pas le pays ennemi, et qui a de ces perpétuels scrupules de probité et d’humanité, est toujours dans l’embarras des subsistances et devient naturellement l’homme des objections. […] Un homme naturellement indéterminé le devient bien plus encore avec les ans. […] Pour moi, je deviens fou par tout ce que je vois ; M. de Vaudemont fait pitié, et nous nous consolons comme de bons serviteurs qui vont aux expédients et qui les cherchent. […] Sa prévoyance est devenue de plus en plus sombre ; il engendre les craintes et n’est occupé qu’à se précautionner en cas d’insuccès. […] Soyons seulement avertis que, dès ce moment et pour les dernières années du règne de Louis XIV, Catinat, sans le vouloir, était un peu devenu un nom d’opposition.

815. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Désaugiers, qui se donnait pour mélancolique et « qui se dépêchait d’être gai, de peur d’avoir le temps de devenir triste » ; M.  […] Mme Gontier vieille et devenue dévote, bien que restée comédienne, n’entrait jamais en scène sans faire deux ou trois fois dans la coulisse le signe de la croix. […] qu’est devenue son aimable réputation de peuple hospitalier ? que sont devenues ces mille bonnes qualités qu’on lui reconnaissait, et qui me rendaient fière d’être de la paroisse Saint-Eustache ? […] Il y a là-dessous une longue histoire que je te dirai une autre fois… Tu sauras, si c’est une nouvelle pour toi, que Joanny est devenu la bête noire du public ; c’est à qui veut crier haro sur le baudet.

816. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Depuis les cinq ou six dernières années, cette disposition est manifeste dans le monde, et n’a fait que se confirmer à chaque occasion, en maint exemple grand ou petit ; mais, si elle a ses motifs que je viens de dire, ses avantages relatifs, son bon sens rapide et ses délicatesses, la disposition d’esprit que nous reconnaissons ici et que nous saluons à son heure manque pourtant trop essentiellement de doctrine, d’inspiration à soi, d’originalité et de fécondité, pour devenir le ton d’un siècle, à moins que ce siècle ne soit prédestiné avant le temps aux douces vertus négatives et au régime du déclin. […] La fatuité combinée à la cupidité, à l’industrialisme, au besoin d’exploiter fructueusement les mauvais penchants du public, a produit, dans les œuvres d’imagination et dans le roman, un raffinement d’immoralité et de dépravation qui devient un fait de plus en plus quotidien et caractéristique, une plaie ignoble et livide qui chaque matin s’étend. […] On sait ce qu’il est devenu au sein de son triomphe, depuis la désorganisation des partis. […] Quand on ne connaît les gens, surtout ceux de sensibilité et d’imagination, qu’à partir d’un certain âge, et durant la seconde moitié de leur vie, on est loin de les connaître du tout comme les avait faits la nature : les doux tournent à l’aigre, les tendres deviennent bourrus ; on n’y comprendrait plus rien si l’on n’avait pas le premier souvenir. […] (On a essayé dans cette réimpression, moyennant les notes et post-scriptum ajoutés en plus d’un cas au premier portrait, de donner un aperçu de ce que deviendrait le second.)

817. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Pourquoi consacrer à des travaux sans valeur et destinés à devenir inutiles des moments qu’il pourrait employer si utilement à des recherches définitives ? […] Leur spécialité devient ainsi pour eux un petit monde où ils se renferment obstinément et dédaigneusement. […] Chaque savant, développant ainsi sa partie sans égard pour les autres branches de la science, devient étroit, égoïste, et perd le sens élevé de sa mission. […] Il viendra, ce me semble, un âge où les études philologiques se recueilleront de tous ces travaux épars et où, les résultats étant acquis, les monographies devenues inutiles ne seront conservées que comme souvenirs. […] Il y a évidemment une limite où la richesse d’une bibliothèque devient un obstacle et un véritable appauvrissement, par l’impossibilité de s’y retrouver.

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