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375. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Il ne suffit pas en effet de savoir ce qui est ou ce qui a été pour dire ce qui sera ; si l’on reconnaît à l’homme le pouvoir de modifier par une conduite raisonnée, soit sa propre destinée, soit celle du groupe auquel il appartient, il faut bien admettre, au-delà et au-dessus de la science, se dégageant d’elle et la dépassant, un idéal qui tend à se réaliser par cela seul qu’il est conçu, qui est ainsi de la réalité en puissance, ou pour mieux dire encore, en voie de formation. […] Au lieu de se cantonner, comme elle l’a fait à certains moments, dans l’étude de l’homme et de ses destinées, elle s’est assigné un domaine plus large. […] Voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique. ; elle sera, non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère des plus hautes conceptions de l’intelligence.  » La poésie sera sans doute autre chose aussi ; bien téméraire qui voudrait enfermer l’incessante mobilité de l’art dans une formule rigide ; mais il est certain qu’elle peut et doit réaliser la prophétie de Lamartine. […] Des destinées de la poésie. 

376. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Mais, suivant l’expression de Wagner, « il l’imprégna de la musique. » Il destina chaque rythme, chaque mouvement, à une signification propre. […] Le contrepoint avait été chez Bach un procédé constant, la forme même de la mélodie : par Beethoven encore fut promu à l’Art le contrepoint, il le destina à traduire les marches simultanées, dans l’âme, d’émotions diverses. […] L’adjonction aux sons des paroles, ce n’était nullement une survenue de l’art littéraire dans la musique ; car les paroles, toutes destinées à être chantées, n’exprimaient point des notions précises, elles dirigeaient seulement l’émotion, indiquant sa nature exacte. […] Il comprenait, avec le flair avisé d’un négociant, que la musique, si elle ne répond pas à des émotions, doit, sans vaines recherches savantes, être seulement un sonore trémolo destiné à retenir l’attention des masses sur des actions de mélodrame.

377. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Là vivent, d’une équivoque existence, les êtres dont la destinée d’honneur est perdue : femmes sans mari, grandes dames déchues, aventurières travesties, gentilshommes d’industrie, joueurs tarés, viveurs frauduleux, tout cela végète, fleurit, brille, s’éteint, monte, descend, apparaît et disparaît au hasard, les uns ressaisis par l’abîme de la chute ou de la misère, les autres parvenant à regagner la terre ferme, sinon les hauteurs. […] Elle a tenté, pour sortir de l’enfer, un effort suprême ; la destinée l’y replonge, elle s’y renfonce avec l’excellent parti pris de la damnation. […] une de ces femmes d’une moralité si frivole, qu’elles vous font croire aux influences de la lune sur leur destinée ? […] Le Demi-Monde est, avec la Dame aux Camélias, la meilleure pièce de l’auteur ; elle est célèbre, elle a fait date ; c’est à la Comédie-Française qu’elle était primitivement destinée.

378. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

VII Ainsi la littérature française complétait rapidement la langue destinée à remuer par toutes ses fibres l’esprit de l’Europe moderne. […] Il y a deux faces à cette institution tant controversée de l’Académie française, et deux manières de la juger, selon qu’on la considère au point de vue de l’émulation qu’elle était destinée à donner au génie national, ou au point de vue de l’ascendant et de l’autorité qu’elle peut donner à la pensée. Sous ce premier rapport, c’est-à-dire comme corps destiné à faire naître et à élever le niveau du génie dans la nation, c’est à nos yeux une institution puérile ; nous dirons plus, c’est une institution complétement contraire à son but. […] C’est la belle destinée des assemblées constituantes.

379. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Le premier caractère intéressant de ces lettres, et sur lequel je ne crains pas du tout d’insister, au contraire, c’est que ce sont bien réellement des lettres, des lettres familiales, des lettres domestiques, des lettres amicales d’un mari à sa femme, et que ces lettres ont très peu le caractère d’un livre destiné à l’impression et destiné au public. […] Mais il a de l’esprit »  Et ce caractère de lettres domestiques destinées cependant à être lues dans un petit cercle, c’est le caractère même — (comme c’est celui des lettres de Mme Sévigné) que j’affirme être celui des lettres de La Fontaine que nous lisons en ce moment : « J’emploie cependant les heures qui me sont les plus précieuses à vous faire des relations, moi qui suis enfant du sommeil et de la paresse. […] C’est dommage que ***… n’y ait été mariée ; quant à mon égard… » Ici nous sommes en face d’un de ces propos comme on en trouve tant dans les lettres qui n’étaient point destinées à la publicité, dans les lettres essentiellement privées, c’est-à-dire devant un de ces propos que l’on n’entend point.

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