Il lui fait la proposition comme voisin et par manière de fantaisie : Vous n’êtes pas homme à faire valoir votre terre de Tourney ; votre fermier Chouet en est dégoûté, et demande à résilier son bail. […] Sur la demande d’arbitrage, le président déclare qu’il n’y a pas lieu : Voltaire doit les quatorze moules de bois au marchand qui les lui a livrés, et, s’il ne les paye, ledit marchand et paysan le fera assigner, voilà tout : De vous à moi il n’y a rien, et, faute d’affaires, point d’arbitrage. […] Mais celui-ci, s’empresse-t-il d’ajouter de Voltaire, le plus grand coloriste qui fut jamais, le plus agréable et le plus séduisant, a sa manière propre qui n’appartient qu’à lui, qu’il a seul la magie de faire passer, quoiqu’il emploie toujours la même à tant de sujets divers lorsqu’ils en demanderaient une autre.
Volney, qu’on nous représente, à Angers comme à Ancenis, solitaire, taciturne, ne prenant aucune part aux amusements de son âge et ne se liant intimement avec aucun de ses camarades, s’adonna à la médecine et se tourna dès lors vers l’étude des langues orientales : sa pensée était qu’il fallait demander à l’étude directe de ces langues la rectification de quantité d’opinions reçues et accréditées à la faveur de traductions infidèles. […] On lui voudrait un peu de ce sentiment qu’il simulait lorsqu’à un Arabe qui lui demandait pourquoi il était venu de si loin, il répondait : « Pour voir la terre et admirer les œuvres de Dieu. » Volney monte au sommet du Liban, d’où il jouit du spectacle des hautes montagnes : « Là, de toutes parts, dit-il, s’étend un horizon sans bornes ; là, par un temps clair, la vue s’égare et sur le désert qui confine au golfe Persique, et sur la mer qui baigne l’Europe : l’âme croit embrasser le monde. » Du haut de cette cime témoin de tant de grandes choses, et d’où l’esprit se porte en un clin d’œil d’Antioche à Jérusalem, quelles vont être ses pensées ? […] Dès les premiers jours de la discussion et du conflit entre les ordres, lorsque arriva la lettre du roi aux députés du tiers état pour les engager à la réunion (28 mai 1789), comme Malouet demandait que les débats fussent à huis clos et qu’on fît retirer des galeries les étrangers : Les étrangers !
Il dit qu’il a vu les hommes sous les diverses religions rester les mêmes et obéir à leurs intérêts, à leurs passions : il ne se demande pas si les hommes ne s’y abandonneraient pas bien davantage en étant absolument destitués de cet ordre de lois. […] Le trait distinctif du colon français qui, jusque sur les confins du désert, sent le besoin de voisiner et de causer, y est vivement saisi : « En plusieurs endroits, ayant demandé à quelle distance était le colon le plus écarté : Il est dans le désert, me répondait-on, avec les ours, à une lieue de toute habitation, sans avoir personne avec qui causer. » Il y a aussi dans les Éclaircissements un chapitre curieux sur les sauvages ; en nous décrivant leurs mœurs et leurs habitudes, Volney ne perd pas l’occasion de revenir à la charge contre Rousseau et contre son paradoxe de parti pris en faveur de la vie de nature ; il donne la preuve de ce parti pris par des anecdotes qu’il savait d’original, et notamment par celle de la fameuse conversation de Jean-Jacques avec Diderot à Vincennes : « Et cet homme aujourd’hui, ajoute-t-il, trouve des sectateurs tellement voisins du fanatisme, qu’ils enverraient volontiers à Vincennes ceux qui n’admirent pas Les Confessions ! […] C’est ici la pierre philosophale ; tandis qu’à la campagne il reste de la moralité, et qu’en faisant un bon sort de son vivant, on peut trouver serviteur d’attache… On pourrait arrêter ici le philosophe et lui demander pourquoi il y a à la campagne un fonds restant de moralité plutôt qu’à la ville, et si cela ne tient pas précisément à ce qu’il a voulu détruire.
A ceux qui combattent le principe de Descartes, je me contenterai de demander par quel principe ils prétendent le remplacer. […] Celui qui demanderait à sa raison s’il doit aimer son père, ses enfants, sa patrie, glacerait par là même les meilleurs et les plus naturels sentiments du cœur humain ; il ne serait plus qu’un automate pensant. […] Quand ils seront une minorité, ils réclameront le droit de penser autrement que la foule ; quand la société nouvelle se sera fait sa foi, ses préjugés, ses traditions, ses lieux communs, tout ce qui ne manque jamais de s’établir dans une société bien assise, les partisans des anciennes idées et des anciennes mœurs demanderont à ne pas obéir aveuglément à ce nouveau genre d’autorité.
L’on m’a engagé, dit Ariste , à lire mes ouvrages à Zoïle , je l’ai fait, ils l’ont saisi d’abord, et avant qu’il ait eu le loisir de les trouver mauvais, il les a loués modestement en ma présence, et il ne les a pas loués depuis devant personne : je l’excuse, et je n’en demande pas davantage à un auteur, je le plains même d’avoir écouté de belles choses qu’il n’a point faites. […] Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’est un premier ouvrage, l’auteur ne s’est pas encore fait un grand nom, il n’a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s’agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes , de vous récrier, C’est un chef-d’œuvre de l’esprit ; l’humanité ne va pas plus loin : c’est jusqu’où la parole humaine peut s’élever : on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l’abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu’on veut louer : que ne disiez-vous seulement, Voilà un bon livre ; vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues ; il n’est plus temps. […] Il porte plus haut ses projets et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.