On oublie que, si ces grandes vérités sont contraires à quelques-unes de nos passions, elles en favorisent d’autres : elles sont conformes à nos désirs et à nos espérances, de telle sorte que l’argument peut être rétorqué par les athées et l’a été plus d’une fois. […] Même dans le désir si louable de me conserver de fortes croyances, je ne dois pas imputer une erreur à mes semblables, si ce n’est point une erreur, ni même me fermer les yeux sur la part de vérité que cette erreur peut contenir. […] Le philosophe, qui mesure ses forces à son ambition et à son désir, voudrait tout embrasser, tout observer, tout dévorer d’un seul coup ; mais, comme dit le spirituel Emerson, « la bouchée est trop grosse. » Il faut se résigner à en laisser.
Mais voyez en revanche ce qu’il apporte au monde, l’énorme présent dont il l’enrichit, la force vitale dont il ruisselle, les œuvres et les espoirs qu’il éveille, les désirs qu’il contente, les joies qu’il assouvit, les germes qu’il répand ! […] Solidarité inter-nationale ne signifie pas alliance, fusion, ni même — pour l’instant — fédération, mais uniquement, lien entre les parties correspondantes de chacun des corps sociaux, liens d’individus ou de groupes, politiquement étrangers, mais humainement solidaires, par le fait même de leur existence, de leurs désirs, de leurs actions, de leur idéal, de leurs besoins ou de leur nature, conservant non seulement leur personnalité, mais celle du groupe social auquel ils appartiennent, et en plus vivant de cette part de la vie générale de l’humanité qui les affecte plus spécialement. […] Les désirs de l’âme humaine sont naturellement universels.
« Car à peine obtenu, ce bonheur, si ardemment, si uniquement désiré, effraye l’âme de son insuffisance ; en vain elle s’épuise à y chercher ce qu’elle avait rêvé ; cette recherche même le flétrit et le décolore ; ce qu’il paraissait, il ne l’est point ; ce qu’il promettait, il ne le tient pas : tout le bonheur que la vie pouvait donner est venu, et le désir du bonheur n’est point éteint. Le bonheur est donc une ombre, la vie une déception, nos désirs un piège trompeur. […] Vous voyez qu’il a suffi de prendre un fait très-fréquent et très-visible, un de nos désirs ou tendances.
Il faut qu’il l’aperçoive à la façon des solitaires et des vrais chrétiens, au dedans de lui-même, dans les secrets mouvements de son être, et que tous ses désirs disparaissent dans la grande lumière vague dont il est réjoui et dont il est baigné ; il faut qu’il se confie, s’abandonne et s’épanche, et que l’amour immortel qui circule à travers les créatures assoupisse ses agitations et ses inquiétudes dans la félicité tranquille où il les confond. […] Jupiter descend en pluie dans la puissante terre qu’il féconde, et les grandes formes des pins vivants et des montagnes ondulent sous la lune dans la nuit « pleine de dieux. » Aujourd’hui dans cet abattis universel des dogmes, parmi l’encombrement des idées entassées par la philosophie, l’histoire et les sciences, parmi les désirs excessifs et les dégoûts prématurés, la paix ne nous revient que par le sentiment des choses divines.
Quelle ardeur, quelle impatience, quelle impétuosité de désirs ! […] Là les folles amours, là le luxe, l’ambition et le vain désir de paraître exercent leur empire sans résistance.