La critique de Boileau (Suite). […] Ce n’est pas non plus la raison des idéologues et des philosophes, la raison raisonnante, analytique et critique, qui loge tout l’univers en formules abstraites dans l’esprit humain, et réduit toute l’activité de l’intelligence à une sèche algèbre : ce n’est pas la raison de Voltaire et de Condillac. […] Zola : Le plus bel éloge qu’on pouvait faire autrefois d’un romancier, était de dire : « Il a de l’imagination. » Aujourd’hui cet éloge serait presque regardé comme une critique… L’imagination de Balzac, cette imagination déréglée qui se jetait dans toutes les exagérations et qui voulait créer le monde à nouveau, sur des plans extraordinaires (ne dirait-on pas que ceci vise Scudéry ou, si l’on veut, Corneille ?) […] Mais, ainsi compris, ce respect de l’antiquité n’est plus un préjugé tyrannique : il laisse une pleine indépendance à l’intelligence et au goût ; et il en sera de la critique comme de la théologie qui n’a pas le droit de toucher au texte sacré, mais se permet, à l’occasion, pour en éluder le sens, toutes les subtilités et toutes les fantaisies d’interprétation. […] Comment ce critique naturaliste, et ce naturaliste surtout qui a fait le Repas ridicule, condamne-t-il le poète bucolique qui Fait parler ses bergers comme on parle au village ?
À une telle époque nul n’a raison, si ce n’est le critique qui ne prononce pas. […] on est impartial et critique pour les fanatismes du passé, et on est soi-même fanatique. […] Alors on sera critique pour tous les partis, et pour ceux qui résistèrent, et pour ceux qui s’imaginèrent reconstruire la société comme on bâtit un château de cartes. Chacun aura son rôle, et nous, les critiques, comme les autres. […] Le spéculatif seul peut être critique ; les libéraux ne le sont pas ; ils sont superficiels.
Acculée à l’aveu, Emma préfère le suicide : elle paye de sa vie cette fauté de critique de s’être conçue autre qu’elle n’était, cette présomption d’idéaliste d’avoir tenté d’asservir le réel à l’imaginaire. […] Mais la critique lui fait défaut : elle ignore l’intervalle qui sépare la réalité créée par elle de la réalité collective. […] Mais elle n’est plus dupe ni du sentiment qu’elle éprouve ni de celui qu’elle inspire ; un pouvoir critique s’est éveillé on elle ; elle mesure la part de comédie qui entre en cet amour. […] L’absence d’esprit critique et l’enthousiasme scientifique ne sont pas les seuls mobiles qui engendrent chez Homais la même évolution : on trouve aussi chez lui une vanité excessive et ce mobile complémentaire, en l’incitant à une duperie, des autres en même temps que de lui-même, obscurcit la simplicité de la métamorphose. […] Ils ne savent plus apprécier les distances, toute critique est abolie en eux.
Après le critique, dans Beyle, il faudrait parler du romancier ; mais il y a quelque chose à dire du rôle qui est peut-être le sien avant tout, et de la vocation où il a le plus excellé : Beyle est un guide pénétrant, agréable et sûr, en Italie. […] Le défaut de Beyle comme romancier est de n’être venu à ce genre de composition que par la critique, et d’après certaines idées antérieures et préconçues ; il n’a point reçu de la nature ce talent large et fécond d’un récit dans lequel entrent à l’aise et se meuvent ensuite, selon le cours des choses, les personnages tels qu’on les a créés ; il forme ses personnages avec deux ou trois idées qu’il croit justes et surtout piquantes, et qu’il est occupé à tout moment à rappeler. […] Il faut encore moins songer aux critiques qu’un jeune officier de dragons, chargeant avec sa compagnie, ne songe à l’hôpital et aux blessures. […] Peu d’hommes ont plus méprisé les critiques. […] Ses romans sont ce qu’ils peuvent, mais ils ne sont pas vulgaires ; ils sont comme sa critique, surtout à l’usage de ceux qui en font ; ils donnent des idées et ouvrent bien des voies.
Mangin. » Il est un côté de cette Correspondance que j’aurais désiré pouvoir exposer davantage : c’est celui de Béranger critique et littérateur. Quand je dis critique, entendons-nous bien : il y a différentes manières de l’être, et Béranger, d’une certaine manière, l’était peu ou ne l’était pas du tout. […] En un mot, le critique essayeurchez lui était loin d’être des plus sûrs. Au contraire, le critique liseur, si je puis dire, celui qui, dans son fauteuil, reprenait pour la centième fois de vieux écrits et se mettait à penser tout haut en refermant le livre, c’est celui-là qu’il y avait plaisir à entendre et à faire causer : idées justes, idées fines ou hardies, boutades légères et inspirées, lui sortaient en foule à la fois. […] Sur cet article de Béranger critique, j’ai déjà indiqué que je ne suis pas pour sa théorie utilitaire de l’art.