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385. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Car voir et créer sont un dans l’artiste ; Wagner a dit : « Le vrai poète produit ce qu’il a vu, non ce qu’il a vécu : le voyant est par sympathie lié en créateur à ce qu’il a vu. » De cette sympathie naît l’harmonie de l’œuvre d’art, et la plus parfaite expression de la sympathie c’est l’art d’harmonie, la musique. […] Tichatschek étant resté toute sa vie attaché à la scène de Dresde, il n’a pu créer d’opéras de Wagner que Rienzi et Tannhaeuser, mais jusque dans l’âge avancé il est resté le grand artiste et l’admirateur de Wagner qui en 1867 écrivait : « Si de notre temps la nature a pu produire la merveille d’une belle voix mâle, c’est celle du ténor Tichatschek qui depuis quarante ans est toujours également restée forte et bien timbrée. […] Alors il se comprit lui-même, il comprit son Wotan, et de la morale de la compassion il déduisit avec Schopenhauer la philosophie esthétique et éthique de l’art et du christianisme, et il créa Tristan et Parsifal. […] Walter Damrosch ; Mlle Brandt a repris pour l’occasion le rôle de Kundry qu’elle créa à Bayreuth.

386. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Car ces êtres touchants, presque aériens, délicats, frêles comme des ombres, marchent pourtant devant nous en une grâce onduleuse et, par un don singulier, ce sont uniquement les natures poétiques que l’auteur réussit à créer vivantes. […] Artiste enfin complet, elle peut non seulement se dire tout entière, mais encore, sans risque de tomber, sortir de son âme, créer par art des êtres qui lui sont étrangers et les agiter en gestes naturels qui lui déplaisent. […] Souvent, par besoin inconscient de renouveler leur musique, ils chantent des théories jeunes encore ; mais ils n’ont pas la puissance de les créer eux-mêmes. […] Toute puissance crée un devoir et Lacuzon est mon débiteur pour les nobles vers dont il me prive quand, au lieu de travailler, il s’acagnarde auprès de vagues sculpteurs qui, de leurs idées baroquement larvaires et de leur ignorance prétentieuse, déshonorent Baudelaire ou Vigny.

387. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Mais croyez-vous pouvoir créer des ténèbres durables ? […] Ils lui créent des illusions aimables, font sourire devant ses yeux heureux des vierges aux « charmes pâles » Atténués aux teintes vagues des lointains. […] Charles-Brun est un esprit curieux et inconstant, capable partout d’une médiocrité agréable, mais à qui son habileté et même son talent ne créent jamais qu’une personnalité fuyante. […] Bergeret, philosophe ingénieusement superficiel et romancier impuissant à créer un caractère, le font songer, ébloui, à « du Montaigne… dans du Balzac ».

388. (1904) En méthode à l’œuvre

Est-ce que, s’il emploie les éléments appropriés, il ne créera pas une précieuse image ? […] Mais, on ne prit pas garde que deux de ses éléments s’opposent à d’égales divisions, à intervalles équidistants que sont les césures : d’une part, de la pensée qui le crée en dehors de tout empirisme et pré-conception, le propre Rythme, — et, d’autre part, la propriété de hauteur, d’intensité et de longueur des sons ou timbres-vocaux, qui, devant être adéquats à l’Idée, sont partie intégrante de sa mesure, et, par partielles et inégales durées déterminent eux-mêmes la place des temps marqués, au long de l’expiration totale. […] Parlerons-nous de répétitions de sons, pareils ou à divers degrés de hauteur et d’étendue, pour créer ainsi qu’une atmosphère hallucinée. […] Puisqu’ainsi ma pensée osa couver l’unité en sourdeurs de cosmos, d’un Poème ému ainsi que de l’amour des mondes gravitants et des semences d’atomes, — et tel que se créèrent les Poèmes, pareils aux pans de roches sculptés et peints, des très anciens empires : qui, d’abscons et de subtils morphismes monstrueux de Vie, et de Signes lourds et sacrés, surent en eux enclore le Dogme et l’Éthique, et l’Émotion et la Conscience…

389. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Créer une idée nouvelle, une figure nouvelle, c’est déformer une idée ou une figure connue des hommes sous un aspect général, fixe et indécis. […] L’imitation fait le reste : celui qui ne peut créer partage à demi, en imitant le créateur, les joies de la création. […] C’est là un phénomène de conservation et non de déformation, et même de conservation créatrice, car empêcher un mot de périr, c’est le créer une seconde fois. […] Aujourd’hui, il est impossible de créer un verbe français qui ne se conjuge sur aimer.

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