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641. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Alors un nuage irisé des morbides couleurs de la flore rare, des violets expirés, des roses agonisants, des blancs moribonds des anémones, se déroule puis éparpille ses moutonneux flocons dont les ascensionnelles nuances se foncent, exhalant d’inconnus parfums où se mêlent le relent biblique de la myrrhe et les senteurs voluptueusement compliquées des extraits modernes. […] Inondé d’ineffables promesses et d’ardents effluves, il tombe, délirant, dans les bras des polluantes Nuées qui l’enlacent ; sa personnalité mélodique s’efface sous l’hymne triomphant du Mal — puis la démoniaque tempête de la chair qui rugit, les éclairs sulfureux et les jets phosphoriques qui grondent dans l’orchestre s’apaisent ; l’incomparable éclat de ces grands cuivres qui semblent une transposition des aveuglantes pourpres et des somptueux ors de Delacroix, s’affaissent — et un susurrement d’une ténuité délicieuse, un frôlement presque deviné de sons adorablement bleus et aériennement roses, frissonne dans l’éther nocturne qui déjà s’éclaire. — Puis l’aube apparaît, le ciel hésitant blanchit comme peint avec des sons blancs de harpe, se teint de couleurs encore tâtonnantes qui peu à peu se décident et resplendissent dans le magnifique alléluia, dans la fracassante splendeur des timbales et des cuivres. […] Les appels de Brangaine au haut de sa tour ont beaucoup de couleur, et la péroraison du grand duo : Mourons tous deux, a de la chaleur. […] Dans son Traité du verbe, qui paraîtra en 1886 avec une préface de Mallarmé, René Ghil développe sa théorie des correspondances entre les sons et les couleurs. […] Lui aussi associe la harpe à la couleur blanche.

642. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

II Cependant, avant de vous dérouler ces vers admirables qui semblent avoir conservé dans leur harmonie et dans leur couleur les ondulations sonores de la vague contre les flancs du vaisseau, le rythme des rames d’où dégoutte l’onde amère, les frémissements des brises du ciel dans les cyprès, les mugissements des troupeaux sur les montagnes de l’Ionie ou de l’Albanie, et les reflets des feux de bergers dans les anses du rivage, permettez-moi de vous faire une remarque qui appartient moins à la rhétorique qu’à l’observation du cœur humain : c’est que, pour bien comprendre et bien sentir Homère dans l’Odyssée, il faut être né et avoir vécu dans des conditions de vie rurale, patriarcale ou maritime, analogues à celles dans lesquelles le poète de la nature a puisé ses paysages, ses mœurs, ses aventures et ses sentiments. […] Très-versée par les habitudes de sa piété dans la Bible, très teinte des couleurs homériques dans son imagination par ses lectures de jeunesse sous des maîtres illustres, on voyait, à sa physionomie fine et sous-entendue devant les grandes scènes de la vie rurale, qu’elle en jouissait aussi naïvement que nous par le cœur, mais plus littérairement que nous par l’esprit. […] C’est par ces tableaux naïfs, pathétiques, si propres à colorer de couleurs vraies et à toucher de sentiments justes l’imagination et le cœur des enfants, qu’elle voulut à cette époque nous lire elle-même l’Odyssée d’Homère. […] À la forme du volume et à la couleur de la couverture en bois noir, nous pensions que c’était un vieux bréviaire de notre oncle ou un missel de sacristie, dans le temps qu’il y avait au château l’aumônier de notre grand-père. […] La reine, sa mère, assise auprès du foyer, filait une laine couleur pourpre au milieu de ses servantes… — « Mon père chéri, dit Nausicaa, ne me ferez-vous point la grâce d’ordonner qu’on me prépare un chariot magnifique aux roues arrondies, pour que j’aille laver dans le fleuve les beaux vêtements de la maison qui sont couverts de poussière ?

643. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ses premiers ouvrages avaient cependant des mérites : une hauteur de tons, une crudité de couleurs pleine de saveur. […] Les nôtres se tiennent pour satisfaits quand ils ont dépeint sous des couleurs fort noires les choses du jour et le train dont elles vont. […] Les arômes, les couleurs, la lumière, s’amalgament par l’artifice de ce devin. […] C’est la même couleur violente et rude, le même dessin sûr et résumé, la même façon de se poser en face de la nature avec une savante ingénuité. […] Mais je prêtais peu d’attention à ce décor, dont les couleurs gouachées ensemble, froides et crues, offensaient mes yeux, et dont l’énormité sans grandeur ne me faisait pas impression.

644. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Telle phrase de lui, qui vous éblouit et vous charme par sa couleur, souffre deux ou trois interprétations différentes. […] Et si vous voulez monter plus haut encore dans la région de l’art, vous reconnaîtrez que le Dies iræ de Mozart, doit l’ampleur sublime de son style à la couleur sombre et large du texte latin. […] Il faudrait citer d’un bout à l’autre tous ces monologues de Faust, où Goethe a peint de couleurs si magnifiques la soif de la connaissance de l’infini. […] Il m’indiquait des lectures à faire, et quelquefois, dans son empressement, il me les faisait d’avance à sa façon : c’est-à-dire qu’il citait un livre et se mettait à le raconter avec une abondance, une animation, une couleur extraordinaires. […] Il nous donnait un thème ; il fallait, séance tenante, brocher un article qui eût du sens et de la couleur.

645. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Dans cette période (1627-1658), la couleur de la comédie est à peu près trouvée dans l’exclusion du pathétique ; mais on cherche la matière, et l’on tente diverses directions. […] La comédie de Molière nous offre un vaste tableau de la France du xviie  siècle, étonnant de couleur et de vie. […] Nombre de comédiens393 se mêlent d’écrire, et l’ont prédominer dans leurs œuvres, selon la tradition offerte parle répertoire qu’ils jouaient ordinairement, l’intrigue à surprises et la bouffonnerie haute en couleur. […] Il jettera là-dessus son intarissable gaieté, ses mots imprévus, d’une fantaisie extraordinaire, ses couplets éclatants de chaude couleur et de verve pittoresque.

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