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250. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

J’ai vu vendre de vieux tapis persans, de vieux morceaux d’harmonieuses couleurs très passées, des 6 000, des 7 000, des 12 000 francs. […] On peut trouver ça très joli, mais n’est-ce point, au fond, de la très petite couleur, bonne à laisser à la peinture à la gouache ? […] J’ai rarement éprouvé une jouissance pareille à celle, que j’ai à vivre dans cette harmonie somptueuse, à vivre dans ce monde d’objets d’art si peu bourgeois, en ce choix et cette haute fantaisie de formes et de couleur. […] Et même dans ce salon, les curieuses notes qu’y apporterait l’anecdote racontant les choses représentées, ce que j’appellerai le mobilier de la couleur. […] Le troc accepté, il emportait la robe, et aussitôt en possession de la loque à la splendide couleur, il esquissait sur une vieille toile, en deux heures, son tableau.

251. (1925) Proses datées

Posés çà et là, ils amusent mes yeux par leurs formes et leurs couleurs. […] Il est certain que ces figures d’autrefois, fixées sur la toile ou le papier, en leurs lignes ou leurs couleurs, ont un charme singulier. […] Il y étale les amples plis de sa robe couleur de prune à parements de soie rouge. […] Un habit de drap fin couleur queue de paon, la veste blanche eh satin brodé, la culotte en drap de soie fait en 1785. […] Une anglaise de drap d’Elbeuf faite en octobre 1786, Une culotte de drap de coton anglais couleur paille.

252. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Cette excursion fut féconde pour sa jeune âme ; mille tableaux s’y gravèrent, mille couleurs la remplirent. […] Car de talent, à proprement parler, c’est-à-dire de pouvoir créateur, de faculté expressive, de mise en œuvre heureuse, ils n’en avaient que peu ; ils n’ont laissé que des lambeaux aussi déchirés que leur vie, des canevas informes que les imaginations enthousiastes ont eu besoin de revêtir de couleurs complaisantes, de leurs propres couleurs à elles, pour les admirer. […] Toujours mêmes couleurs éparses, mêmes complaintes égarées, même affreuse catastrophe, L’inconnu, auteur supposé des Tristes, se tue d’un coup de lime au cœur, comme Charles Munster (le peintre de Saltzbourg) se noyait dans le Danube, comme Gaston dans Adéle se fait, je crois, sauter la tête. […] Nous serons bref dans un détail que lui-même nous a orné de couleurs si vivantes en mainte page de ses Souvenirs. […] Il connut Victor Hugo de bonne heure, à la suite d’un article qui n’était pas sans réserve, si je ne me trompe, sur Han d’Islande ; il découvrit vite, au langage vibrant du jeune lyrique, les dons les plus royaux du rhythme et de la couleur.

253. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

. — Aliénation normale de nos sensations de son et de couleur. — Hallucinations psychiques. — Locutions intellectuelles des mystiques. — Histoire de Blake. — Autres exemples. — Point de départ et progrès de l’illusion. — Passage de l’hallucination psychique à l’hallucination sensorielle. — Cas où la série totale de nos événements passés, présents et possibles est remplacée par une série étrangère. — Point de départ de l’illusion. — Suggestions dans l’hypnotisme. — Expériences des docteurs Tuke et Elliotson. — Exemples chez les monomanes. — Malades persuadés qu’ils sont une autre personne, qu’ils sont changés en animaux ou en corps inanimés, qu’ils sont morts. — Croyances analogues dans le rêve. — Mécanisme de l’idée du moi à l’état normal. — Mécanisme de l’idée du moi à l’état anormal. — Analogie du travail mental et du travail vital. […] Reste à chercher pourquoi les sensations que nous logeons dans notre corps nous apparaissent aussi comme internes et sont rapportées par nous à nous-mêmes. — Pour en trouver la raison, il suffit de les comparer à celles qui nous appartiennent également et que pourtant nous ne nous attribuons point, celles de couleur et de son. […] Cette fois, nous ne nous trompons plus par addition, mais par retranchement ; au lieu d’insérer dans notre série des événements qui ne nous appartiennent pas, nous projetons hors de notre série des événements qui nous appartiennent. — Telle est l’erreur dans laquelle nous tombons à propos des couleurs et des sons ; on en a décrit le mécanisme. En soi, ce sont des sensations comme celles de chaleur ou de saveur ; mais, comme elles sont repoussées hors de notre superficie nerveuse, elles nous semblent détachées de nous ; par cette aliénation, le son nous apparaît comme un événement étranger et la couleur comme une qualité d’un corps autre que nous-mêmes. — Cette erreur est normale, et nous avons montré en quoi elle est utile. […] En d’autres termes, si nous les explorons, ils provoquent en nous des sensations de contact, de résistance, de température, de couleur, de forme et de grandeur tactile et visuelle, à peu près analogues à celles que nous éprouvons lorsque par l’œil et la main nous prenons connaissance de notre propre corps.

254. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

La Fontaine l’a fait avec des couleurs aussi vraies, aussi familières, aussi franches que Van-Ostade et Téniers. […] Elle ressemble à ces grandes peintures de Jordaens, montagnes de corps entassés, de visages enluminés, où les chairs débordent hors de toute forme, où les couleurs exagérées s’entre-choquent, mais où toutes les figures sont vivantes et de belle humeur. […] Un faiseur de descriptions eût montré la physionomie de l’éléphant, la tranquillité de ses yeux intelligents, la couleur de sa peau, et le reste ; un vrai poëte songe à l’ensemble et ne décrit que pour prouver. […] Toute sa force et tout son emploi sont de montrer l’action et les sentiments ; les couleurs et les formes corporelles n’apparaissent chez elle que dans un éclair, aux moments d’émotion extrême. […] Le poëte remplace ici les couleurs du peintre par des mots passionnés qui font plaindre « les pauvres servantes. » Il montre l’âme, au lieu du corps ; c’est la différence de la poésie et de la peinture.

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