Une pensée cependant me rassure : c’est que les grands écrivains de l’antiquité et des temps modernes sont, pour la plupart d’entre vous, de ces vieilles connaissances, de ces anciens amis dont on aime toujours à entendre parler ; et que les autres me sauront gré de leur faire connaître ces hommes du passé qui deviendront bientôt leurs amis les plus chers. […] L’habitude de lire et la connaissance des règles peuvent seules en triompher. […] Si l’on peut faire plaisir en chantant, même sans une voix harmonieuse par la seule puissance du talent, combien de ressources peut offrir à l’organe le plus ingrat la connaissance des principes qui constituent l’art de bien lire ! […] En consacrant ces Matinées à l’étude des Sciences naturelles, de l’Histoire et de la Littérature ancienne et moderne, nous avons choisi, parmi les connaissances humaines, celles qui dans la vie sont d’une application plus fréquente et d’un intérêt plus général. […] Notre but étant d’offrir aux gens du monde, aux femmes surtout, un moyen d’étendre et de perfectionner des connaissances déjà acquises, nous espérons que les mères de famille comprendront l’utilité de nos Matinées littéraires.
Les lois, qui furent traditionnelles avant d’être écrites ; les préceptes religieux ou moraux, les connaissances primitives, sources des traditions ; les formes de l’intelligence humaine, l’intuition des vérités nécessaires, la faculté de pénétrer l’essence des êtres et des choses, pour imposer les noms, l’insufflation divine pour imprimer mouvement à la sensation et à la pensée : c’est dans tout cela que j’avais cherché les éléments de la parole ; c’est cet ensemble que j’avais signalé comme étant la révélation du langage. […] Mais il est impossible de ne pas sentir une lacune dans cet enchaînement de faits qui ne sont point liés les uns aux autres, d’où ne peut résulter encore, la connaissance ni l’appréciation de cette haute faculté que nous nommons la parole. […] L’Institut royal de France avait proposé pour sujet du prix qu’il devait adjuger en 1825, « d’examiner si l’absence de toute écriture, ou l’usage soit de l’écriture hiéroglyphique ou idéographique, soit de l’écriture alphabétique ou phonographique, ont eu quelque influence sur la formation du langage chez les nations qui ont fait usage de l’un ou de l’autre genre d’écriture, ou qui ont existé longtemps sans avoir aucune connaissance de l’art d’écrire ; et, dans le cas où cette question paraîtrait devoir être décidée affirmativement, de déterminer en quoi a consisté cette influence ».
Ce temps est d’environ six ans : on y joint vers la fin quelque connaissance très superficielle du grec : on y explique, tant bien que mal, les auteurs de l’antiquité les plus faciles à entendre ; on y apprend aussi, tant bien que mal, à composer en latin ; je ne sache pas qu’on y enseigne autre chose. […] Au reste, un homme d’esprit de ma connaissance voudrait qu’on étudiât et qu’on enseignât l’histoire à rebours, c’est-à-dire, en commençant par notre temps, et remontant de là aux siècles passés. […] Un lecteur, doué d’une mémoire heureuse, pourrait apprendre de suite ces racines, et par ce moyen avancerait beaucoup, et en peu de temps, dans la connaissance de la langue ; car, avec un peu d’usage et de syntaxe, il reconnaîtrait bientôt aisément les dérivés. Il ne faut pas croire cependant qu’avec un dictionnaire tel que je viens de le tracer, on eût une connaissance bien entière d’aucune langue morte. […] Ils appelaient eloquens celui qui joignait à la qualité de disertus la connaissance de la philosophie et des lois ; ce qui formait, selon eux, le parfait orateur.
De même que le fait le plus simple de la connaissance humaine s’appliquant à un objet complexe se compose de trois actes : 1° vue générale et confuse du tout ; 2° vue distincte et analytique des parties ; 3° recomposition synthétique du tout avec la connaissance que l’on a des parties ; de même l’esprit humain, dans sa marche, traverse trois états qu’on peut désigner sous les trois noms de syncrétisme, d’analyse, de synthèse, et qui correspondent à ces trois phases de la connaissance. […] Chez nous, toute connaissance est antithétique : en face du bien, nous voyons le mal ; en face du beau, le laid ; quand nous affirmons, nous nions, nous voyons l’objection, nous nous roidissons, nous argumentons.
La connaissance profonde et la juste appréciation des hommes étaient peu nécessaires quand il s’agissait d’un prince qui s’était montré tout en dehors. […] Rien ne perfectionne autant les connaissances humaines que d’examiner le chemin qu’elles ont déjà fait. […] Quand il en vient à rechercher les sources et les principes des autres divisions des connaissances humaines, il se montre alors incomplet et superficiel. […] À supposer qu’il eût atteint à une connaissance profonde du cœur humain, cette connaissance resterait encore stérile, si elle était le produit de la recherche et de l’examen, si elle n’avait pas quelque chose d’instinctif qui donne à l’auteur la faculté de peindre les personnages par l’imagination et non par la théorie. […] Ceux qui exposent l’histoire des temps anciens ne peuvent parvenir au même but que par une connaissance approfondie des témoignages écrits.