Par suite, l’esprit romanesque, considéré non plus chez l’écrivain, mais chez les lecteurs et chez le commun des hommes, est une tendance à accepter comme vraies ces imaginations d’un monde meilleur et plus beau. […] Elles ont toutes ceci de commun, qu’elles procèdent par à-coups, sous l’impulsion subite d’un sentiment ou d’un désir plus fort qu’elles, si bien que leur conduite a presque toujours quelque chose de décousu et d’incohérent, et que souvent le lien échappe entre leurs démarches successives. […] Je suis moi-même étonné que les traits communs à ces aimables créatures, ramassés avec scrupule, finissent par composer un petit animal aussi inquiétant.
Cette simultanéité de deux vies, n’ayant rien de commun l’une avec l’autre, à cause de l’infini qui les sépare, n’est nullement sans exemple. […] Mais il se peut qu’un jour l’humanité arrive à un tel état de perfection intellectuelle, à une synthèse si complète que tous soient placés au point le plus légitimement gagné par les temps antérieurs et que tous partent de là d’un commun effort pour s’élancer vers l’avenir. Et cette harmonie se réalisera, non par la théorie, non par la suppression des individus, non par ce Père-roi des saint-simoniens qui réglait la croyance comme tout le reste, mais par l’aspiration commune et libre, comme cela a lieu pour les élus dans le ciel.
Ainsi depuis 1830, en notre siècle où les courants contraires se sont succédé avec rapidité, où les vagues d’idées ont été, pour ainsi dire, plus courtes, on compte en moins de cinquante ans trois de ces coalitions avec les forces de résistance ; l’une après la première explosion de socialisme qui menaça la société bourgeoise, c’est-à-dire au lendemain des journées de juin 1848 ; l’autre après la seconde grande levée du prolétariat, lors de la Commune de 1871 ; la troisième enfin qui a commencé de 1885 à 1890 et qui dure encore, causée par les craintes que le progrès des nouvelles théories sociales inspire aux détenteurs des derniers privilèges. […] Malgré leur base commune, le calvinisme et le luthéranisme, pour n’en pas citer d’autres, se sont violemment combattus et leur action sur les âmes et sur la littérature n’a certainement pas été la même. […] Et quand même on dirait que ces nations sont restées catholiques ou devenues protestantes, parce qu’elles devaient déjà soit à la race, soit au climat, une sorte de prédestination à cette différence de culte ; quand même on ferait ainsi remonter à une cause commune leurs préférences religieuses, politiques, morales, esthétiques, il n’en serait pas moins vrai que leurs croyances sur l’au-delà et sur la destinée humaine, cristallisées dans des institutions permanentes et dans des pratiques séculaires, ne peuvent que maintenir et renforcer leur tempérament primitif.
Ils accusèrent les jansénistes de faire cause commune avec les protestants, et ceux-ci d’être des républicains, et de dangereux ennemis du pouvoir royal. […] Laissons aux âmes communes (et madame de Montespan était du nombre, malgré la distinction de son esprit la satisfaction de penser, ou de le dire, que madame de Maintenon mit en œuvre tous les manèges de la coquetterie pour se faire aimer du roi, et elle qui, pouvant devenir sa maîtresse, le ramène à ses devoirs de mari. […] En se défendant par l’intérêt de l’honneur, auquel le roi pouvait opposer la promesse du secret, elle l’aurait rebuté ; en se défendant par la religion, par un devoir et par un intérêt commun ; en se défendant par un devoir qu’elle représentait comme pénible à son cœur, et comme assez contraire à son inclination pour laisser au roi l’espérance d’en obtenir l’oubli dans un moment propice, elle parvenait à la solution habile de cette grande difficulté de renvoyer le roi toujours affligé, jamais désespéré ; en prolongeant son désir, elle en faisait une passion vive et profonde.
En attendant elle obéissait sans beaucoup de suite à ses goûts romanesques et grandioses, et, passant de son ancienne aversion pour le prince de Condé à une amitié subite, elle brûlait de se signaler pour la cause commune par quelque service éclatant. […] Elle montre que, comme il est difficile de supprimer tout à fait la galanterie et l’amour, le mieux peut-être serait encore d’en revenir à cette erreur si commune qu’une vieille coutume a rendue légitime, et qui s’appelle mariage. […] Elle se plaisait à découvrir en lui toutes sortes de distinctions, une élévation d’âme au-dessus du commun, et un million de singularités qui la charmaient.