Les poëmes dogmatiques, que leurs auteurs ont dédaigné d’embellir par des tableaux pathetiques assez frequens, ne sont gueres entre les mains du commun des hommes.
L’absence complète d’imagination chez La Motte semble une qualité et un mérite de plus à Marivaux : « La composition de M. de La Motte tient de l’esprit pur, dit-il ; c’est un travail du bon sens et de la droite raison ; ce sont des idées d’après une réflexion fine et délicate, réflexion qui fatigue plus son esprit que son imagination. » Il le félicite d’être parfaitement étranger à l’enthousiasme, de ne se laisser jamais emporter, comme quelques autres, à un train d’idées ordinaires et communes, montées sur un char magnifique ; il lui accorde une vivacité toute spirituelle, d’une espèce unique et si fine qu’il est donné à peu de gens de la goûter. […] Par ces mots bien ou mal placés, Marivaux ne veut pas toutefois faire entendre qu’un fonds commun d’esprit manquât dans ces siècles réputés barbares : loin de là, il estime que l’humanité, par cela seul qu’elle dure et se continue, a un fonds d’esprit de plus en plus accumulé et amassé : c’est là une suite lente peut-être, mais infaillible de la durée du monde, et indépendante même de l’invention soit de l’écriture, soit de l’imprimerie, quoique celles-ci y aident beaucoup : « L’humanité en général reçoit toujours plus d’idées qu’il ne lui en échappe, et ses malheurs même lui en donnent souvent plus qu’ils ne lui en enlèvent. » Les idées, d’un autre côté, qui se dissipent ou qui s’éteignent, ne sont pas, remarque-t-il, comme si elles n’avaient jamais été ; « elles ne disparaissent pas en pure perte ; l’impression en reste dans l’humanité, qui en vaut mieux seulement de les avoir eues, et qui leur doit une infinité d’autres idées qu’elle n’aurait pas eues sans elles ». […] Ils ont naturellement tous les auteurs plats et communs pour auxiliaires.
MM. de Goncourt sont deux frères jeunes encore, qui ont débuté dans les lettres il y a une douzaine d’années ; qui se sont dès le premier jour jetés en pleine eau pour être plus sûrs d’apprendre à nager ; qui y ont très-bien réussi ; qui ne se sont jamais séparés, qui ont étudié, écrit, vécu ensemble ; qui ont mis tout en commun, y compris leur amour-propre d’auteur ; que cette union si étroite et qui leur semble si facile distingue et honore ; qui ont fait chaque jour de mieux en mieux ; qui, adonnés aux arts, aux curiosités, aux collections tant de livres que d’estampes, ont acquis du xviiie siècle en particulier une connaissance intime, approfondie, secrète, aussi délicate et bien sentie que détaillée. […] On comprend en effet que les femmes du xviiie siècle, tout en ayant quelques traits communs ne restent pas les mêmes pendant toute cette durée et se distinguent entre elles par des nuances infinies. […] Dans une lettre écrite de Paris au poète Gray (25 janvier 1766), lettre toute émaillée de portraits et qui fait songer à la galerie de la Fronde de Retz, ou plutôt encore aux portraits de haute société de Reynolds et de Gainsborough, après avoir peint de sa touche la plus vive la duchesse de Choiseul et sa belle-sœur, la duchesse de Grammont, et bien d’autres, il continuait ainsi : « Je ne puis clore ma liste sans y ajouter un caractère beaucoup plus commun, mais plus complet en son genre qu’aucun des précédents, la maréchale de Luxembourg.
Peu d’hommes, indépendamment de toute éducation et de tout acquit, sont nés aussi instinctivement distingués ; j’entends par distinction « une certaine hauteur ou réserve naturelle mêlée de simplicité. » Dans tout ce qui sort de son crayon, de même : il est toujours élégant, aussi peu comme il faut que possible quand il le faut et que ses personnages l’y forcent, aussi bas que le ton l’exige ; il n’est jamais commun. […] Les éditeurs le poussaient vers le commun, il s’en tirait par le comique : il se voyait obligé ainsi de combiner les diverses exigences, celles du dehors et celles du dedans, les siennes propres, et d’être à la fois comique, pittoresque et profond, mais en attrapant toujours un côté vulgaire : ce dernier côté, il ne faisait que l’atteindre et l’effleurer. […] C’est l’opinion commune, et elle a prévalu, bien qu’elle ne soit point exacte.
Parler ensemble de la pairie, faire des vœux pour la prospérité de ses armes, se pénétrer réciproquement de l’honneur qu’il y a d’être martyr du zèle qu’on a mis à la servir, devancer par la pensée ses triomphes et sa gloire, telles étaient les idées que je me formais des moments que j’allais passer aux Sept-Tours jusqu’à l’époque de notre délivrance commune. » Il arrangeait sa persécution à souhait et se faisait en idée un martyre commode. […] Les habitants de Landau ne pouvant aller chercher eux-mêmes le bois dans la forêt dont leur commune était copropriétaire, trouvaient commode que ce bois fût coupé en tout temps et fût apporté dans leur ville par les maraudeurs qui le vendaient à vil prix, au grand bénéfice des acheteurs. […] Pour trouver un maire qui réunît les conditions voulues, il était indispensable de faire des infractions aux règlements administratifs et de réunir, contrairement à ce qui se pratique ailleurs, plusieurs communes rurales sous un seul maire.