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856. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Antoine Campaux, homme de cœur et d’imagination, qui s’est épris du poète, qui l’a de bonne heure lu, relu, imité peut-être dans des vers de jeunesse et pour ses parties avouables59 ; qui l’aime comme un fils indulgent et innocent, avocat désintéressé d’un père prodigue, et qui, concentrant sur lui toute l’affection et l’érudition dont il est capable, a résumé, poussé à fond et comme épuisé les recherches à son sujet. […] Une affaire d’amour où il apporta, ce semble, plus de cœur qu’à l’ordinaire et qui se termina par une éclatante disgrâce, par je ne sais quelle perfidie notoire qui le faisait montrer au doigt et qui le rendit la fable de la cité, le décida tout d’un coup à quitter Paris et à partir pour Angers : Mais auparavant il voulut, nous dit M.  […] C’est par impatience de toutes ces fades copies et de ces répétitions serviles qu’Alfred de Musset, dans le préambule de La Coupe et les lèvres, au milieu de cet admirable développement où il s’ouvre à cœur joie sur l’infinie variété et la riche contrariété de ses goûts, s’écriait : Vous me demanderez si j’aime la nature. […] Plus tard enfin, banni de Paris, lorsque, chevauchant sans croix ni pile par tous les chemins de France et de Navarre, il promenait son exil et sa misère d’une frontière à l’autre, méditant déjà dans sa tête et dans son cœur les confessions et les plaintes douloureuses du Grand Testament, l’arbre et le buisson de la route ne lui avaient-ils donc jamais parlé et fait oublier un instant ses douleurs, comme ils devaient un jour, plus d’une fois, calmer celles de Jean-Jacques vagabond ? […] Il a pu naître sur les bords de l’Oise ; il n’y a certainement pas grandi : autrement, à défaut de son cœur, ses yeux en eussent gardé le souvenir, et ses rêves au moins lui eussent plus d’une fois rapporté le parfum des herbes et des fleurs de la rive natale.

857. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Elle est sur mon cœur, cachée à tous les yeux, sentie à tous les moments et souvent baignée de mes larmes. […] mais avez-vous donc oublié qu’à cette heure où Louis XVI avait péri, il n’y avait plus que deux ou trois habitants de ces ci-devant palais, des femmes comme vous, prisonnières comme vous, enfermées au Temple comme vous à Sainte-Pélagie, destinées à plus d’insultes, à plus d’outrages que vous n’en subîtes jamais ; — l’une surtout, une reine redevenue auguste par le courage et le malheur, une victime comme vous allez l’être, et que vous suivrez à trois semaines de distance sur le fatal échafaud ; celle même dont les pages secrètes retrouvées aujourd’hui viennent faire concurrence aux vôtres et avertir les cœurs généreux de ne rien maudire, de ne rien commettre d’inexpiable, et de réunir dans un même culte de justice et d’humanité tout ce qui a régné par la noblesse du sang, le charme de la bonté, par l’esprit, par le caractère, tout ce qui a lutté, combattu, souffert et grandi dans la souffrance, tout ce que le malheur a sacré ! […] « Dans la tendre vénération qu’elle portait à la mémoire de son père, et qui était restée gravée en elle comme l’impression la plus ineffaçable de son enfance », elle n’avait rien tant à cœur, nous apprend M.  […] Tendre fille d’une femme forte, son cœur faisait illusion à son esprit. […] Faugère nous dit : « On raconte qu’au pied de l’échafaud, en ces derniers instants où, entrevoyant les ombres redoutables de l’Éternité, les cœurs les plus fermes se troublent, les plus incrédules commencent à douter, Mme Roland demanda qu’il lui fût permis d’écrire des pensées extraordinaires qu’elle avait eues dans le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution.

858. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Heureusement que le cœur est bon ; sans cela il y a bien quelques mois que j’en aurais par-dessus la tête.. » Il avait retrouvé en décembre 1808 le chef qui savait le mieux l’apprécier, le maréchal Soult. […] Ces mots brisèrent mon âme, ma joie disparut ; il me sembla que je ne partais plus, et je n’éprouvai d’autre émotion de plaisir, en lisant la lettre de ma sœur, écrite de Saragosse, que celle d’avoir des nouvelles de ma famille et d’apprendre qu’elles étaient satisfaisantes, J’essayerais en vain de décrire les combats continuels qui, pendant les deux jours que je restai encore dans l’Alhambra, s’élevaient dans mon cœur. […] Les matelots et le capitaine avaient perdu la tête : ce fut le général et son aide de camp qui montèrent sur le pont et qui, par leur sang-froid, rendirent du cœur à l’équipage. […] Le général de Saint-Joseph, avant de mourir, eut à cœur de consacrer la mémoire de son ancien chef, et cette pieuse pensée lui a porté bonheur : l’humble Notice honore aujourd’hui, à son tour, et protège la mémoire de M. de Saint-Joseph ; elle donne de lui et de sa manière de sentir la plus respectable idée. […] L’espoir d’un prochain secours ranima les cœurs les plus abattus… » (Jomini, Histoire des Guerres de la Révolution, tome XIII, p. 223.)

859. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Vous réservez vos prix pour la femme dévouée, pour l’homme du peuple courageux, qui, sans se douter de l’existence de vos fondations, ont suivi l’inspiration spontanée de leur cœur. […] Le naturel, l’élan de cœur, la vivacité, l’entraînement, un esprit prodigieusement inventif, joint à une fermeté à toute épreuve, font de madame Gros un exemple unique peut-être de l’art d’exprimer au peuple dans son langage les plus hauts sentiments. […] Messieurs ; vous n’avez pas voulu séparer deux personnes si intimement unies par le sang et par le cœur. […] Messieurs, et qu’on en peut tirer de belles choses, quand un artiste habile se trouve à côté de lui, pour faire jaillir en son cœur la source des larmes, de la prière intime et de l’amour ! […] … Mais, Messieurs, personne n’en sait rien, ou plutôt nous ne savons qu’une seule chose, c’est que chacun la trouve dans les inspirations de son cœur.

860. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Plein de ces désolantes idées, mon cœur était abattu et s’adressait tout bas à Dieu que je venais de retrouver, et qu’à peine connaissais-je encore. […] Je sentais mon cœur soulagé et dilaté, mais en même temps comme prêt à se fendre. Assailli d’une foule d’idées et de sentiments, je pleurai assez longtemps sans qu’il me reste d’ailleurs d’autre souvenir de cette situation, si ce n’est que c’est, sans aucune comparaison, ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux, et que ces mots : Me voici, mon Fils ! […] Étonnée de l’attitude de cette douleur profonde, elle en demande la cause ; c’est à travers mille sanglots que le saint homme lui dit : « Madame, comment n’aurais-je pas le cœur brisé ? […] Il y avait pourtant quelque chose qui tenait plus avant au cœur de La Harpe converti que l’amour des belles dames et que le goût de la bonne chère, c’était la passion littéraire proprement dite, la démangeaison du critique, et il n’y put jamais résister.

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