Il existe une sorte de douceur sévère et très-profitable pour l’âme à être méconnu : ama nesciri ; c’est le contraire du digito monstrari, et dicier Hic est ; c’est quelque chose d’aussi réel et de plus profond, de moins poétique, de moins oratoire et de plus sage, un sentiment continu, une mesure intérieure et silencieusement présente du poids des circonstances, de la difficulté des choses, de l’aide infidèle des hommes, et de notre propre énergie au sein de tant d’infirmité, une appréciation déterminée, durable, réduite à elle-même, dégagée des échos imaginaires et des lueurs de l’ivresse, et qui nous inculque dans sa monotonie de rares et mémorables pensées. […] Austère, scrupuleux en morale, dépourvu d’une jeunesse entraînante, dévoré d’une sensibilité vague qu’il désespérait de fixer sur un choix enchanté, désireux avant tout de s’asseoir dans une existence indépendante et rurale, M. de Sénancour se laissa dire, et se crut délicatement engagé : on peut saisir quelques traits de ces circonstances personnelles sous l’histoire de Fonsalbe, au tome second d’Oberman. […] la Révolution française, en grondant autour de lui, n’avait apporté aucune perturbation notable, aucun exemple de circonstance, à travers la suite de ses pensées. […] Les circonstances déterminent nos affections ; mais les sentiments expansifs sont naturels à l’homme dont l’organisation morale est parfaite.
Meister que nous avons vu près de Grimm), son esprit avait l’habitude de considérer toutes les faces d’une affaire avec tant d’exactitude et de réflexion, sa prévoyance était tellement susceptible et tellement scrupuleuse qu’il n’était plus frappé, dans les circonstances même les plus pressantes, que des difficultés d’une décision quelconque, et ne se déterminait, pour ainsi dire, que forcément à vouloir ce qu’il voulait. […] Necker, en s’attaquant à Turgot « comme n’ayant que le désir et le soupçon de la grandeur sans en avoir la force », semblait se désigner assez distinctement en plus d’un endroit à titre de ministre bien préférable : « S’il y avait constamment à la tête de l’administration, disait-il, un homme dont le génie étendu parcourût toutes les circonstances ; dont l’esprit moelleux et flexible sût y conformer ses desseins et ses volontés ; qui, doué d’une âme ardente et d’une raison tranquille, etc. » Si l’on ne pense pas à soi en parlant ainsi et en décrivant si complaisamment celui qu’on appelle, il y a au moins manque de tact, puisqu’on fait croire à tout le monde qu’on y a pensé. […] » Le même Voltaire écrivant à l’abbé Morellet et voulant, il est vrai, le flatter comme ami de Turgot et comme adversaire de Necker, relevait dans l’ouvrage une suite de phrases étranges : Je ne vous dirai point, d’après un beau livre nouveau, que les calculs de la nature sont plus grands que les nôtres ; que nous la calomnions légèrement ; … qu’un œil vigilant, capable de suivre la variété des circonstances, peut fonder sur une harmonie le plus grand bien de l’État ; qu’il faut suivre la vérité par un intérêt énergique, en se conformant à sa route onduleuse, parce que l’architecture sociale se refuse à l’unité des moyens, et que la simplicité d’une conception est précieuse à la paresse, etc. […] Sorti du ministère où il ne devait rentrer que sept ans plus tard et quand les circonstances seraient trop fortes pour lui, il continua de vivre dans la société, au milieu d’une faveur et d’une adulation presque universelles39.
Les mêmes conditions historiques ne pouvant se reproduire, le même fait historique ne saurait reparaître ; et comme une loi exprime nécessairement qu’à certaines causes, toujours les mêmes, correspondra un effet toujours le même aussi, l’histoire proprement dite ne porte pas sur des lois, mais sur des faits particuliers et sur les circonstances, non moins particulières, où ils se sont accomplis. […] Dans le travail de la pensée en général, comme dans l’opération de la mémoire, le cerveau apparaît simplement comme chargé d’imprimer au corps les mouvements et les attitudes qui jouent ce que l’esprit pense ou ce que les circonstances l’invitent à penser, C’est ce que j’ai exprimé ailleurs en disant que le cerveau est un « organe de pantomime ». […] C’est par elle que nous nous insérons dans la réalité, que nous nous y adaptons, que nous répondons aux sollicitations des circonstances par des actions appropriées. […] Orienter notre pensée vers l’action, l’amener à préparer l’acte que les circonstances réclament, voilà ce pour quoi notre cerveau est fait.
. — Nous ne sommes pas sûrs qu’il les produise ; car, à titre de faits, ils sont précaires et dépendent des circonstances extérieures ; donc, étant donné un être, il n’est pas certain qu’il atteigne sa destinée. — Il aspire à l’atteindre, quoique souvent il ne parvienne pas à l’atteindre ; donc ils sont un bien, et dès cette vie il a raison d’y aspirer. […] Cousin, les circonstances le gênèrent ; comme M. Cousin, nous allons le transporter dans un autre siècle ; nous gardons l’homme, nous refaisons les circonstances ; et l’homme, aidé par les circonstances, devient plus heureux et plus grand.
On y voit ce que ce discours fut réellement un ouvrage de circonstance, venu à point dans la polémique entamée alors, un écrit judicieux, d’une satire modérée, appliquée à son moment et sans exagération. […] Ainsi, ailleurs, nous le retrouverons, en mainte circonstance, ferme et timoré, empêché et inébranlable. […] Avant son entrée à la Convention, il convient de relever encore deux circonstances. […] Un peu de néologisme s’y mêle, assez justifié certes et motivé par l’inusité et le monstrueux des circonstances. […] Mais non : des circonstances et des devoirs l’ont forcé, à son corps défendant, de les produire ; désormais son Cours d’Études historiques, arraché à l’oubli, le dira.