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563. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

L’un d’eux, l’abbé Émery, offrait dans sa personne, à ce commencement du siècle, comme le type de ces vénérables survivants : l’abbé Émery, celui qu’on a pu appeler « le suppléant des évêques », l’oracle du Clergé et sa boussole dans l’orage, le modérateur pendant les tempêtes, le centre caché où venaient aboutir les consultations, la lampe dans l’ombre où venaient s’éclairer toutes les consciences chrétiennes. […] Un groupe de jeunes écrivains catholiques distingués, de doctrinaires du parti, qui, à l’envi du Globe, s’étaient essayés dans le Correspondant sur la fin de la Restauration, se joignirent, sans s’y confondre, avec le groupe des amis de M. de Lamennais : à côté du vigoureux et sombre Breton, du doux, aimable et savant abbé Gerbet, du brillant et valeureux Lacordaire, du jeune comte leur ami91, alors dans toute la fraîcheur acérée de son talent, on eut Edmond de Cazalès, riche esprit, cœur plus riche encore ; Louis de Carné, esprit sage, écrivain consciencieux, s’instruisant toujours, désireux d’acquérir et de combiner tout ce qui est bien, se nuisant par là peut-être à la longue ; on eut un Franz de Champagny, jouteur sincère, peintre studieux, sévère pour les Césars comme un élève de Tacite qui eût été chrétien ; plusieurs Kergorlay, au nom jadis hostile, mais tous d’une autre génération plus adoucie, tous réconciliés entièrement ou en partie avec le siècle. […] D’autres, simples assistants et hommes de désir, se plaisaient à voir le catholicisme s’essayer à des interprétations compatibles peut-être avec les progrès de la science et avec ceux de l’humanité ; ils prenaient goût à de hauts entretiens qui rappelaient ceux des philosophes ou des chrétiens alexandrins.

564. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

C’est aux parents qu’il appartient de les diriger dès l’enfance dans le sentier de la vertu, de la bonne éducation, des mœurs sages et chrétiennes… Quant à les forcer d’étudier telle science plutôt que telle autre, je ne le trouve ni prudent ni sage, bien que leur donner des conseils sur ce point ne soit pas nuisible. […] Viardot, met la note que voici, au sujet des récompenses que les rois accordent aux poëtes vertueux : « Il faudrait supposer à Cervantes, pauvre et oublié, je ne dirai pas bien de la charité chrétienne, mais bien de la simplicité ou de la bassesse, pour que cette phrase ne fût pas sous sa plume une sanglante ironie », je ne puis entrer dans la vivacité de cette remarque et dans ce qu’elle a d’acerbe. […] Cervantes, malgré toute sa gaieté, a vécu et est mort en bon chrétien et en catholique exemplaire.

565. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Taine comme, à ma connaissance, il ne l’avait pas été encore : il n’apparaît qu’à son moment et après un tableau caractérisé de la Renaissance chrétienne, de ce puritanisme dont il est la fleur suave et douce et la couronne sublime, bien qu’un peu bizarre. […] Il existe une ode d’Andrew Marwell20 qui appartient au même mouvement de renaissance chrétienne et patriotique. […] … de nouveaux ennemis s’élèvent, menaçant de lier nos âmes avec des chaînes séculaires ; aide-nous à sauver notre libre conscience des ongles des loups mercenaires qui pour tout Évangile ont leur panse. » C’est le même sentiment que chez Marwell, plus héroïque et plus martial chez celui-ci, plus purement chrétien chez Milton.

566. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Obsédé et assoiffé de la mort, Baudelaire, sans être chrétien, nous rappelle le christianisme angoissé du xve  siècle : par une propriété de son tempérament, la mort qui est sa pensée, la mort qui est son désir, c’est la mort visible en la pourriture du corps, la mort perçue sur le cadavre par l’odorat et le toucher. […] Il raconte toutes les formes qu’ont prises dans l’humanité le rêve d’un idéal, la conception de la vie universelle, de ses causes et de ses fins : légendes indiennes, helléniques, bibliques, polynésiennes, scandinaves, celtiques, germaniques, chrétiennes, tous les dieux et toutes les croyances défilent devant nous et se caractérisent avec une étonnante précision. […] Cela est très sensible chez Victor de Laprade, philosophe autant que poète, tour à tour platonicien spiritualiste, naturaliste mystique, idéaliste chrétien, et partout subordonnant l’émotion à la pensée.

567. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Drouot était fils d’un boulanger de Nancy, le troisième de douze enfants : Issu du peuple par des parents chrétiens, il vit de bonne heure, dans la maison paternelle, un spectacle qui ne lui permit de connaître ni l’envie d’un autre sort, ni le regret d’une plus haute naissance ; il y vit l’ordre, la paix, le contentement, une bonté qui savait partager avec de plus pauvres, une foi qui, en rapportant tout à Dieu, élevait tout jusqu’à lui, la simplicité, la générosité, la noblesse de l’âme, et il apprit, de la joie qu’il goûta lui-même au sein d’une position estimée si vulgaire, que tout devient bon pour l’homme quand il demande sa vie au travail et sa grandeur à la religion. […] Âgé de trois ans, il allait frapper à la porte des frères des écoles chrétiennes, et, comme on lui en refusait l’entrée parce qu’il était encore trop jeune, il pleurait beaucoup. […] Il croissait sous la triple garde de ces fortes vertus ; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais.

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