/ 1703
312. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Cette sévérité de pensée et de style va bien à la sainteté majestueuse de Bossuet ; mais la tournure elliptique de la pensée et la finesse quintessenciée me porteraient plutôt à en attribuer l’honneur à Bourdaloue, l’impitoyable psychologue chrétien. […] En effet, pour n’effleurer qu’en passant des souvenirs plus que solennels, je ferai remarquer, — ce qui corrobore parfaitement le caractère officiellement chrétien de cette maxime, — que le Sage par excellence, le Verbe Incarné, n’a jamais ri. […] Ainsi, notons bien ceci : en premier lieu, voici un auteur, — un chrétien, sans doute, — qui considère comme certain que le Sage y regarde de bien près avant de se permettre de rire, comme s’il devait lui en rester je ne sais quel malaise et quelle inquiétude, et, en second lieu, le comique disparaît au point de vue de la science et de la puissance absolues. […] Au point de vue de mon philosophe chrétien, le rire de ses lèvres est signe d’une aussi grande misère que les larmes de ses yeux. […] Les idoles indiennes et chinoises ignorent qu’elles sont ridicules ; c’est en nous, chrétiens, qu’est le comique.

313. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Quelle douleur plus pathétique dans la prière du poëte, suppliant à plusieurs reprises et par toutes les inventions du cœur cette inflexible Mort, et lui disant enfin, dans le culte chrétien de son amour : « Ô Mort ! […] Mais la brusque succession des empires, les avènements de peuples nouveaux, tout ce travail de l’Europe depuis la chute de Rome, sont présents au poëte chrétien et grandissent pour lui le symbole païen qu’il emploie. […] Ce n’est pas en effet une seule imagination humaine, quelque riche qu’on la suppose, qui a pu construire ces idéales hiérarchies de douleurs, d’expiations et de béatitudes, où se complaît le poëte de la Divine Comédie ; c’est la pensée chrétienne qui travaillait, depuis des siècles, sur quelques versets de l’Évangile, sur quelques cantiques d’Isaïe ou de saint Jean. […] Dans cette Jérusalem céleste, qu’avaient décrite les prophètes et qu’une secte chrétienne, les millénaires, attendait de siècle en siècle sous les nuits lumineuses du désert, le poëte avait ainsi jeté la vie nouvelle de l’amour pur. […] Dans cette vie si calme, dans cette belle vie de citoyen, dans cette communauté si pure, dans ce doux hospice, me fit naître Marie invoquée à grands cris ; et, sur votre antique baptistère, je reçus à la fois les noms de chrétien et de Cacciaguida », À ces traits naïfs, trop altérés dans toute traduction, à ce langage d’une si maligne et si poétique candeur, on peut comparer les regrets et la verve moqueuse d’Horace, ses louanges des vieux Romains et de leurs chastes épouses, son âpre censure des mœurs dégénérées et de la danse ionienne.

314. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Non, non, c’est par amour qu’elle se fait chrétienne. […] Mais voilà : Bajazet est à demi chrétien. […] Tu m’as rendue plus chrétienne que je ne l’étais. » — En quoi plus chrétienne, Seigneur ? […] Cela est la pure doctrine chrétienne. […] Akim, le bon chrétien, s’indigne : « … Comment !

315. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Dans un fragment d’instruction adressée par elle aux maîtresses de iNoisy, on distingue déjà tout l’esprit moral et chrétien qui sera celui de Saint-Cyr : Qu’on leur fasse entendre ce qu’on leur dit et ce qu’on leur lit. […] Qu’on les élève en séculières, bonnes chrétiennes, sans exiger d’elles des pratiques, etc., etc. […] C’est une raison toute chrétienne et docile : « Vous ne serez véritablement raisonnables qu’autant que vous serez à Dieu. » Elle ne la sépare jamais de la piété ni d’une entière soumission aux décisions supérieures. […] L’idée si élevée de faire de Saint-Cyr un abri et un foyer chrétien, un refuge et une école de simplicité vertueuse et pure, à mesure que la corruption et la grossièreté augmentent parmi les jeunes femmes de la Cour, se montre à découvert dans ces lettres de Mme de Maintenon : Que ne donnerais-je pas, s’écrie-t-elle (octobre 1703), parlant à l’une des maîtresses, pour que vos filles vissent d’aussi près que je le vois combien nos jours sont longs ici, je ne dis pas seulement pour des personnes revenues des folies de la jeunesse, je dis pour la jeunesse même qui meurt d’ennui parce qu’elle voudrait se divertir continuellement et qu’elle ne trouve rien qui contente ce désir insatiable de plaisir !

316. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Il fallait bien, en effet, tout cela, tout ce sacrifice, toutes ces vertus, toutes ces croyances, pour que des pauvres et des souffrants trouvassent en eux la force d’entreprendre une telle œuvre que celle de sauver, de tirer des duretés et des cruautés, d’affranchir de l’esclavage, de régénérer enfin le monde, et pour faire faire à la masse de l’humanité un si grand pas que celui qui l’éleva de la morale du paganisme à la morale chrétienne. Locke, Jean-Jacques, Channing, tous les chrétiens, à quelque degré qu’ils le soient (et je les prends, on le voit, aussi inégaux que possible), sont d’accord là-dessus. […] Ce peut être pour le croyant et le fidèle un trésor de réflexions chrétiennes édifiantes que cette seconde partie du Discours, mais ce n’est plus de l’histoire. […] Si l’on ne voit pas, dit-il, « que tous les temps sont unis ensemble, que la tradition du peuple juif et celle du peuple chrétien ne font qu’une seule et même suite, que les Écritures des deux Testaments ne font qu’un même corps et un même livre » ; si on n’y découvre pas « un dessein éternel toujours soutenu et toujours suivi » ; si on n’y voit pas « un même ordre des conseils de Dieu qui prépare dès l’origine du monde ce qu’il achève à la fin des temps, et qui, sous divers états, mais avec une succession toujours constante, perpétue aux yeux de tout l’univers la sainte Société où il veut être servi, on mérite de ne rien voir et d’être livré à son propre endurcissement comme au plus juste et au plus rigoureux de tous les supplices. » A un moment l’orateur impatient, le prédicateur se lève : « Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ?

/ 1703