Il est aussi dans les membres de phrase courts en même temps qu’ils sont sourds, des membres de phrase déprimés du commencement, auxquels s’oppose le membre de phrase final, non pas allègre, mais libre, mais libéré, s’espaçant discrètement, mais s’espaçant et prenant du champ et qui semble comme l’expression du soulagement et de la reprise de la vie dans un sourire : « les yeux des jeunes filles y sont (verts et bleus à la fois) comme ces vertes fontaines où sur un fond d’herbes ondulées se mire le ciel. » Ainsi, en lisant à haute voix, vous vous pénétrez des rythmes qui complètent le sens chez les écrivains qui savent écrire musicalement ; du rythme qui est le sens lui-même en sa profondeur ; du rythme qui, en quelque façon, a précédé la pensée (car il y a trois phases : la pensée en son ensemble, en sa généralité : « Je suis né en Bretagne » — le rythme qui chante dans l’esprit de l’auteur, qui est son émotion elle-même et dans lequel il sent qu’il faut que sa pensée soit coulée — le détail de la pensée qui se coule en effet dans le rythme, s’y adapte, le respecte, ne le froisse pas et le remplit) ; du rythme enfin qui, parce qu’il est le mouvement même de l’âme de l’auteur, est ce qui, plus que tout le reste, vous met comme directement et sans intermédiaire en communication avec son âme. […] De ce qu’il peint et souvent très bien, mais ne chante pas.
… Chefs d’école et s’acceptant pour tels, ils ont endoctriné au lieu de chanter ; ils ont endoctriné même quand ils chantaient, Ils n’ont pas ranimé leur inspiration aux sources changeantes et profondes de l’âme humaine.
Elle a défendu âprement et avec des rires la cause du petit et du faible ; elle a prononcé les paroles d’espoir et de consolation ; elle s’est attendrie au souvenir du village natal dont elle a retrouvé, tant de fois la parole familière et sonore ; elle s’est élevée jusqu’à l’ode et à la tragédie ; et lyrique, et magnifique, et bien française, elle vient de chanter l’épopée héroïque de notre Jeanne d’Arc… [La Cigale (mars-juin 1900).]
C’est bien le recueil d’un ramageur de ballades à la cour des Papes en Avignon, ou d’un ménestrel du royaume d’Arles, au temps de la comtesse de Die : cela chante, chatoie, frissonne et flamboie comme une étoffe de soie moirée de jadis, avec des cliquetis de joaillerie et une belle envolée d’oriflammes ; cela jase comme un jet d’eau, babille comme une mandoline et embaume comme une fleur : marjolaine et pimprenelle ; c’est à la fois sauvage, élégant et précieux, et c’est bien en mai neigeux d’amandiers ou en juin de flamme qu’il faut feuilleter, à l’heure de la sieste, avec la mer ensoleillée apparue entre les lamelles des persiennes closes, ces jolis lais et virelais qui fleurent la ruine, le thym, le passé et la brise du large… [Le Journal (8 juin 1897).]
Il est fait pour chanter la luxure, les fruits qu’on cueille à l’automne et les instants où la mort, aussi belle que l’amour, se confond avec lui.