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424. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Quoique les leçons, en général, ne servent à rien, que l’art de la sagesse et surtout celui du bonheur ne s’apprennent pas, ne nous refusons pourtant point le plaisir d’écouter Montaigne, donnons-nous du moins le spectacle de cette sagesse et de ce bonheur en lui ; laissons-le parler des choses publiques, des révolutions et des troubles, et de sa manière de s’y conduire. […] Faire le bien public insensiblement lui paraîtrait toujours l’idéal de l’habileté et le comble du bonheur.

425. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Vieille et au comble des honneurs, elle parlait de ces années de jeunesse et de pauvreté comme des plus heureuses de sa vie : Tout le temps de ma jeunesse a été fort agréable, disait-elle à ses filles de Saint-Cyr : je n’avais nulle ambition, ni aucune de ces passions qui auraient pu troubler le penchant que j’avais à ce fantôme de bonheur (le bonheur mondain). […] » Ne sont-ce pas là des plaintes d’ambitieux et d’avare, de ces plaintes pareilles à celles de l’usurier d’Horace, qui, après avoir célébré le bonheur des champs, revient vite à la ville placer son argent à gros intérêt ?

426. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Le poète, en se promenant, entend le coup de fusil d’un chasseur, et cela réveille en lui aussitôt un souvenir d’enfance, un remords qui se mêle à toute une image de joie et de fraîcheur : L’aube sur l’herbe tendre avait semé ses perles, Et je courais les prés à la piste des merles, Écolier en vacance ; et l’air frais du matin, L’espoir de rapporter un glorieux butin, Ce bonheur d’être loin des livres et des thèmes, Enivraient mes quinze ans tout enivrés d’eux-mêmes : Tel j’allais par les prés. […] Voulez-vous, par exemple, une variante de l’Hoc erat in votis d’Horace, de ce vœu de tout poète et de tout sage qui ne demande désormais au ciel que le plus humble bonheur ? […] Des livres, une femme, heureuse et jeune épouse, Avec deux beaux enfants jouant sur la pelouse ; Et, fermant de mes jours le cercle fortuné, Le bonheur de mourir aux lieux où je suis né !

427. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Dans cette première disgrâce, elle déploie des qualités plus rares et plus difficiles qu’elle n’en eût certes prouvé dans un constant bonheur. […] Elle ne parle jamais du roi que comme de l’« homme du monde le plus aimable », du « meilleur ami », et du « plus honnête homme du monde » : Si j’avais de plus, madame, comme vous me dites (écrit-elle à Mme de Maintenon), le bonheur qu’il se fût fort accoutumé à moi, je vous confesserais ingénument qu’il ne tenait qu’à Sa Majesté de s’apercevoir que je la trouvais de très bonne compagnie 67. […] Elle se contenta donc d’égayer tout ce monde, de le consoler, d’inspirer la fermeté et une sorte de joie autour d’elle, de ne pas trop voir les choses en noir de son œil malade, d’obéir plutôt à sa douce humeur et à une certaine inclination d’espérer qui lui venait de la nature : Il arrive souvent, madame, écrit-elle à Mme de Maintenon, que lorsqu’on croit tout perdu, il survient des choses heureuses qui changent absolument la face des affaires. — Je pense, dit-elle encore, que la fortune peut nous redevenir favorable ; qu’il est de ses faveurs comme du trop de santé, c’est-à-dire qu’on n’est jamais si près d’être malade que lorsqu’on se porte trop bien, ni si proche d’être malheureux que quand on est comblé de bonheur.

428. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

L’abbé Barthélemy avait de l’attrait, du charme, un agrément continu, un sentiment véritable et attachant : « Ma destinée, disait-il, est d’avoir des amis vifs ; c’est un bonheur dont je sens l’étendue. » On a les lettres qu’écrivit l’abbé Barthélemy au comte de Caylus durant ces deux années de voyage d’Italie ; curieuses pour le biographe, elles n’ont rien d’intéressant pour l’ordinaire des lecteurs. […] C’est être bien maladroit que d’avoir attaché son bonheur à l’augmentation d’un dépôt auquel presque personne ne daigne s’intéresser. […] Cette jeune femme, sur laquelle tous les portraits s’accordent, était, dès l’âge le plus tendre, une perfection mignonne de bon sens, de prudence, de grâce et de gentillesse : Mme de Stainville, à peine âgée de dix-huit ans, nous dit l’abbé Barthélemy, jouissait de cette profonde vénération qu’on n’accorde communément qu’à un long exercice de vertus : tout en elle inspirait de l’intérêt, son âge, sa figure, la délicatesse de sa santé, la vivacité qui animait ses paroles et ses actions, le désir de plaire qu’il lui était facile de satisfaire, et dont elle rapportait le succès à un époux digne objet de sa tendresse et de son culte, cette extrême sensibilité qui la rendait heureuse ou malheureuse du bonheur ou du malheur des autres, enfin cette pureté d’âme qui ne lui permettait pas de soupçonner le mal.

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