Juillet Passé la barrière de l’École-Militaire, des rez-de-chaussée jouant des devantures de boutiques à rideaux blancs, et surmontés d’un étage avec un gros numéro au-dessus de la porte d’entrée. — Le gros 9. — Une grande salle, éclairée par le haut d’un jour blafard, où il y a un comptoir chargé de liqueurs, des tables de bois blanc, des chaises de paille. — Là-dedans sont attablés des lignards, des zouaves, des hommes en blouse avec des chapeaux gris, tous des filles assises sur leurs genoux. — Les filles sont en chemises blanches ou en chemises de couleur avec une jupe sombre : toutes jeunes, quelques-unes presque jolies, et les mains soignées, et coquettement coiffées et attifées, dans leurs cheveux relevés, de petits agréments. — Elles se promènent deux par deux dans l’allée entre les tables, jouant à se pousser et fumant des cigarettes ; — De temps en temps, un chanteur récite quelque ordure d’une voix de basse-taille. — Les garçons ont de longues moustaches. — Le maître de l’établissement est appelé par les filles : le vieux marquis. […] Et c’est un bourdonnement fêlé : des lèvres blanches versant dans la conque cireuse des oreilles, des idées en enfance, les marmottages et radotages du passé, hantant ces vieilles cervelles comme un revenant, des paroles édentées, étoupées, bavées entre deux gencives. […] Une vieille femme à cheveux blancs vous introduit dans une salle à manger, où sont encadrées, sur fond noir, des mains découpées sur du papier blanc et ponctuées de lignes, et margées d’annotations tracées à la plume. […] La chambre est noire ou à peu près, avec un jour venant du haut de la fenêtre et traversant des vitraux de couleur, un jour étrange, prismatique, tombant et dansant dans cette pénombre fourmillante de choses que l’œil tâtonne et ne peut saisir, et parmi lesquelles il distingue cependant vaguement un hibou blanc. […] Une immense pièce, où, autour d’un poêle de fonte chauffé à blanc, des hommes étaient assis à terre, chacun ayant à sa portée un litre auquel il buvait à même, et dans un coin, une table portant, dans le désordre le plus effroyable, un entassement et un amoncellement de choses lithographiques, et dans un autre coin, le groom et le rapin tout à la fois du dessinateur, choumaquant et recarrelant de vieux souliers.
Dans cette masse, le cavalier blanc est vu par la croupe de son cheval. […] Il tend, en souriant, un morceau de son pain à une vache blanche qui s’avance vers lui et sous laquelle l’artiste a accroupi une autre vache rousse ; celle-ci est sur le devant et couvre les pieds de la vache blanche. […] L’artiste semble s’être proposé à peu près le même local et les mêmes objets à éclairer de toutes les lumières différentes qu’il s’agit de distinguer avec du blanc, du brun et du bleu ; il n’a oublié que le feu. […] Voyez cette vache blanche, comme elle est grasse ! […] Si ces dessins sur papier blanc au crayon rouge ont moins d’effet que ceux sur papier bleu, cela tient certainement à la couleur du papier et du crayon ; un dessin sur papier blanc et à la sanguine est nécessairement plus égal de ton, de touche et d’effet ; mais en général ils sont d’un prix inestimable.
. — La Jeunesse blanche (1885). — Du silence (1888). — L’Art en exil (1889). — Le Règne du silence (1891). — Bruges-la-Morte (1892). — Le Voyage dans les yeux (1893). — Le Voile, un acte, en vers (1894). — Musée de béguines (1894) […] Je me demande avec inquiétude ce que va dire le lecteur bien portant de cette poésie débile, anémiée, valétudinaire, voilée de crêpes… Cela est fait pour être susurré en sourdine, dans une chambre close, près du lit blanc d’une convalescente, parmi des meubles vieux, bien rangés, sous un rameau de buis bénit, tandis que le tic-tac monotone d’une vieille pendule semble la palpitation légère des heures qui dépérissent et meurent comme nous… Pour moi, je le déclare, au risque de scandaliser les Voltairiens, cette mélodie en mineur ne me déplaît pas. […] [Revue blanche (1896).] […] Sa fin prématurée, d’ailleurs, vient, témoigner pour lui-même, et aujourd’hui je puis penser qu’après tout j’ai pu mal le comprendre… Toute l’œuvre de Rodenbach atteste sa préoccupation de mourir jeune et la crainte de ne rien laisser de sa vie et de ses émotions. « Seigneur, s’écriait-il déjà aux pages de la Jeunesse blanche, donnez-moi cet espoir de revivre Dans la mélancolique éternité du livre. » [Mercure de France (1898).]
Autour de moi les objets gardent toute la force et toute la variété de leurs couleurs, ils se ressentent moins de la teinte de l’atmosphère et du ciel ; au loin ils s’effacent, ils s’éteignent, toutes leurs couleurs se confondent ; et la distance qui produit cette confusion, cette monotonie, les montre tous gris, grisâtres, d’un blanc mat ou plus ou moins éclairé, selon le lieu de la lumière et l’effet du soleil. C’est le même effet que celui de la vitesse avec laquelle on tourne un globe tacheté de différentes couleurs, lorsque cette vitesse est assez grande pour lier les taches et réduire leurs sensations particulières de rouge, de blanc, de noir, de bleu, de vert, à une sensation unique et simultanée. […] Regardez attentivement les limites et même la masse de l’ombre d’un corps blanc, et vous y discernerez une infinité de points noirs et blancs interposés. […] La loi en est pourtant bien simple, et le premier teinturier à qui vous portez un échantillon d’étoffe nuancée, jette la pièce d’étoffe blanche dans sa chaudière, et sait l’en tirer teinte comme vous l’avez désirée.
C’est partout un même ton de couleur, un gris blanc à profusion ; blanc dans les habits sacerdotaux ; blanc dans les surplis et les aubes ; blanc sale et fade dans les carnations ; blanc dans les draps et la couverture ; blanc de Tripoli, ou pierre à plâtre sur l’estrade ; blanc soupe de lait au bois de lit, l’estrade ou le parquet ; blanc à la mitre.