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540. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Les artistes ne disent pas tout, ou parce qu’ils n’en ont pas le droit, ou parce qu’il leur suffit d’indiquer une ligne pour que la courbe se prolonge à l’infini dans l’esprit du lecteur intelligent. […] Le plus véridique des artistes, le plus réaliste, — dans le sens de voisin du réel, — sera l’écrivain qui donnera l’impression constante de la présence des choses, qui les mêlera à la vie, et qui ne confisquera pas à leur profit l’attention qui ne doit pas cesser de voir les âmes et de les suivre. […] Il n’est pas également nécessaire d’être artiste soi-même.

541. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Malgré quelques singes inqualifiables, l’école actuelle, celle du Symbole, compte quelques suprêmes artistes d’une valeur superbe et qui écrivirent les vers les plus exquis et les plus délicieux que l’on ait vus… M. Stéphane Mallarmé me paraît être le plus étonnant artiste de ceux-là… Chacun de ses poèmes est un drame musical comme les drames de Wagner et expriment parfaitement dans son unité la Vie, ce qui est, certes, le but suprême à atteindre.

542. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

Mais quand on se prend dans sa traduction même, on trouve tout à coup un artiste de style extrêmement souple et fort, et dont la plume est un burin qui fait gravure à l’auteur traduit. […] Lui qui devrait plus que personne apprécier les qualités de l’artiste russe qu’il a si habilement reproduites, il ne voit pas que le livre de Tourgueneff ne saurait avoir, quoi qu’on fasse, le genre de succès de l’Oncle Tom, et justement en raison même de son incontestable supériorité.

543. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « J.-J. Ampère ; A. Regnault ; Édouard Salvador »

Malheureusement, s’il est toujours écrivain et peintre, Édouard Salvador est aussi presque toujours un penseur plus ingénieux que solide, qui touche de l’Histoire en artiste, au profit d’intérêts et d’idées que nous ne pouvons accepter dans l’éclat de leur prétention. […] La France est, avant tout, agricole, militaire et artiste.

544. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Une ville grecque demanda une statue à un artiste célèbre, et lui laissa le choix du sujet. […] Elle anime ses images, elle préside à son harmonie, elle répand la vie et une grâce sublime sur les fonds qui représentent ses idées ; souvent elle donne à son style ce caractère céleste que les artistes grecs donnaient à leurs divinités ; comme l’Apollon du Vatican, comme le Jupiter olympien de Phidias, son expression est grande et calme ; son élévation paraît tranquille comme celle des cieux : on dirait qu’il en a le langage ; son style ne s’élance point, ne s’arrête point ; les idées s’enchaînent aux idées, les mots qui composent les phrases, les phrases qui composent les discours, tout s’attire et se déploie ensemble ; tout se développe avec rapidité et avec mesure, comme une armée bien ordonnée qui n’est ni tumultueuse, ni lente, et dont tous les soldats se meuvent d’un pas égal et harmonieux pour s’avancer au même but.

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