Ce sont ces nouveaux Voyages qu’on publie aujourd’hui74, et pour lesquels les mêmes artistes ou d’autres également distingués ont prêté le concours de leur crayon ou de leur burin. […] Je tâcherai de le faire ici, non pas en zigzag, mais avec suite et méthode, de manière à montrer à tous en quoi consistent l’innovation et l’espèce de découverte réelle du charmant artiste genevois. […] Le vert y domine, cru, brillant, étalé, mais les fraîcheurs de l’endroit s’y reconnaissent aussi, et aussi ces menus détails, ces neuves finesses qui échappent souvent au rapide regard de l’artiste exercé, pour se laisser retracer par l’amateur inhabile, réduit qu’il en est à se faire scrupuleux par gaucherie et copiste par inexpérience. […] Ce n’est pas le moment de discuter quelques-uns des noms qu’il met en cause : il apprécie les talents célèbres et en vogue, moins encore en eux-mêmes, ce semble, que d’après leurs disciples et leurs influences ; il a de ces condamnations décisives, anticipées, qu’entre contemporains et artistes qui courent plus ou moins la même carrière, il faut laisser au temps seul le soin de tirer entièrement.
Darenbert, qui a donné ses soins à la correction de ce texte même, a paru regretter que pour les dessins, au lieu de s’adresser à des artistes, et quelques-uns très distingués, qui ont traduit l’auteur sacré dans des formes plus ou moins modernes, on ne se soit pas reporté aux anciennes peintures qui se voient encore dans les Catacombes. […] L’Imprimerie Impériale a donc fait ce qui était le plus naturel et le plus indiqué ; elle s’est adressée aux artistes de nos jours que leur talent désignait pour un tel travail. […] Il est beau, d’ailleurs, d’être un de ces artistes délicats dont on peut dire : Et toujours mécontent de ce qu’il vient de faire, Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire. Le vrai chrétien a ses scrupules et ses repentirs, le véritable artiste également
Un jeune et brillant génie, une âme d’artiste, un second Mozart, a été découvert dans les campagnes de Dalmatie par un dilettante effréné, le chevalier Carnioli : celui-ci l’enlève, le fait élever, le couve, le patronne et, avant de le lancer, le promet d’avance à tous d’un air de mystère ; il en est fier et glorieux comme de son œuvre et de sa conquête. […] Leonora, belle, éblouissante, avide de sensations, ardente dans ses fantaisies, froide de cœur, n’a pas de peine à enlever le jeune et fragile artiste : ce n’est rien de lui avoir jeté son bouquet sur la scène, et son mouchoir par mé-garde avec le bouquet, comme dans un vrai délire d’enthousiasme, il faut voir comme ensuite, dans la visite qu’il lui fait, elle le pique au jeu, lui bat froid, le mortifie, lui tient la dragée haute, le tourne et le retourne à plaisir, comme elle fait tout, en un mot, pour le chauffer, l’enflammer ; elle lui met au cœur un de ces amours furieux, dévorants, à la Musset, qui vous tuent sur place, ou qui vous laissent, pour le restant de vos jours, n’en valant guère mieux. […] Ajoutez que la pièce est dans la vraie mesure de l’art ; la moralité y est plutôt conclue qu’affichée ; elle reste à tirer, l’auteur ne l’impose pas ; et si l’on veut à toute force conjecturer que le jeune artiste au cœur trop faible, s’il avait écarté différemment, aurait trouvé un autre genre d’écueil dans le bonheur somnolent du mariage, comme il a trouvé sa perte sur la mer orageuse de la passion, il n’y a pas de raison absolue qui s’y oppose : vous êtes libre d’y rêver tout à votre aise. […] Soyez tout l’artiste distingué et sincère que vous pouvez être.
Quant au cas désespérant d’un génie totalement anéanti par la seule obscurité, il doit nous apparaître aussi exceptionnel que celui d’un artiste réalisant cette merveille du pur cristal, forme et fond, et imposant son rayonnement officiellement, avant décès, même aux adversaires. […] Mais il y a un esprit artiste, un esprit libre, un esprit profondément anti-académique que l’Académie française ne pourrait admettre sans se placer en contradiction entière avec elle-même. […] Par contre, des clameurs eussent très certainement couvert la voix de tout autre que Maurice Barrès, lorsque le subtil artiste lança dédaigneusement à Jaurès inquiet du sort des ministres accusés : « J’ai vu trop d’honnêtes gens en Haute-Cour. […] « Il y a un esprit artiste, un esprit libre que l’Académie ne saurait admettre sans se placer en contradiction avec elle-même » pense Eugène Montfort.
Que fera donc l’artiste ? […] C’est cet idéal que le véritable artiste se forme en étudiant la nature. […] Mais l’artiste est avant tout un artiste ; ce qui l’anime est le sentiment du beau ; ce qu’il veut faire passer dans l’âme du spectateur, c’est le même sentiment qui remplit la sienne. […] Il faut donc que l’artiste s’attache à représenter l’idéal. […] Et le genre humain fait comme les artistes : Quelle poésie !