Cet intérêt, fruit de l'art & du génie ; cet heureux tissu de fictions ; ces combinaisons d'incidens qui saisissent & captivent l'ame du Lecteur, la tiennent dans un enchantement continuel, & la conduisent au dénouement, à travers une inépuisable variété de sensations ; où les trouve-t-on dans M. de Voltaire ? […] Le Tasse a su mieux modérer son essor, sans lui rien faire perdre sous le joug de l'Art qui le conduit. […] Quiconque saura apprécier les traits de l'Art & du Génie, sera forcé de convenir, qu'un seul des Episodes de cet Ouvrage immortel, renferme plus d'invention, de conduite, d'intérêt, de mouvemens & de vraie Poésie, que la Henriade entiere, moins approchante de l'Epopée, que du genre historique. […] Il n’a rien de véritablement décidé que l’ambitieuse manie d’avoir voulu passer pour le dépositaire du Génie de tous les Arts, pour un Littérateur universel, pour un Homme unique. […] On le lit sans se fatiguer ; il ne présente que la fleur des sujets ; il réveille par des antithèses ; il voltige d’objet en objet ; il a l’art de saisir les contrastes ; de se jouer avec la saillie, de remplacer le raisonnement par l’épigramme ; enfin, il aime mieux mentir & déchirer, que d’être froid ou ennuyeux.
Si, laissant le fond, nous examinons l’art et la forme chez les deux poëtes, nous les trouvons également habiles, composant chacun leur œuvre avec une gradation savante, consommés aux procédés techniques et aux détails précieux. […] Mais chez l’auteur de Marie, tout cela est si habilement fondu, si intimement élaboré au sein d’une mélancolie personnelle et d’une originalité indigène, que la critique la plus pénétrante ne saurait démêler qu’une confuse réminiscence dans ce produit vivant d’un art achevé, et que si elle voulait marquer d’un nom ce fruit nouveau, elle serait contrainte d’y rattacher simplement le nom du poëte ; mais nous qui jugeons combien est sincère la modestie qui nous l’a caché81, nous ne prendrons pas sur nous de lui faire violence ; et pour conclure, nous nous bornerons à citer la plus touchante, à notre gré, des élégies que le nom de Marie décore : Partout des cris de mort et d’alarme ! […] Barbier a voulu nous montrer à quelles conséquences dernières, en politique, en morale, en art, descend, malgré quelques élans brisés, une société sans croyances, une terre qui n’a pas de cieux ; il pousse à l’extrémité cette idée de néant, il décharne son squelette, il le traîne encore saignant au milieu de la salle du festin, et l’inaugure dans les blasphèmes pour nous mieux effrayer. […] Celui que nous appelions Bion est devenu plus sauvage, il désire presque d’être pâtre comme l’était en Écosse le Berger d’Ettrick Mais il a beau vouloir, l’art grec s’attache à lui, et se trahit en parfum sous cette âpreté (1833).
Le coeur s’agite de lui-même et par un mouvement qui précede toute déliberation, quand l’objet qu’on lui présente est réellement un objet touchant, soit que l’objet ait reçu son être de la nature, soit qu’il tienne son existence d’une imitation que l’art en a faite. […] Tous les hommes, à l’aide du sentiment intérieur qui est en eux, connoissent sans sçavoir les regles, si les productions des arts sont de bons ou de mauvais ouvrages, et si le raisonnement qu’ils entendent conclut bien. […] Voilà pourquoi des artisans éclairez consultent quelquefois des personnes qui ne sçavent point les regles de leurs arts, mais qui sont capables néanmoins de donner des décisions sur l’effet d’un ouvrage composé pour toucher les hommes, parce qu’elles sont doüées d’un naturel très-sensible. […] Ainsi lorsqu’il s’agit de juger de l’effet general d’un ouvrage, le peintre et le poëte sont aussi peu en droit de recuser ceux qui ne sçavent pas leur art, qu’un chirurgien seroit en droit de recuser le témoignage de celui qui a souffert une operation lorsqu’il est question uniquement de sçavoir si l’operation a été douloureuse, sous le prétexte que le malade seroit ignorant en anatomie.
Dans ce livre, où tout est en vers, jusqu’à la préface, on trouve une note en prose qui ne peut laisser aucun doute non seulement sur la manière de procéder de l’auteur des Fleurs du mal, mais encore sur la notion qu’il s’est faite de l’art et de la poésie ; car M. […] Le christianisme nous a tellement pénétrés, qu’il fausse jusqu’à nos conceptions d’art volontaire, dans les esprits les plus énergiques et les plus préoccupés. […] Charles Baudelaire, appeler un art sa savante manière d’écrire en vers ne dirait point assez. […] Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées.
Soit timidité, soit paresse, il ignora le grand art des hommes en place, celui d’imposer à la renommée. […] Ils ont loué enfin cet amour des lettres et des arts, qui, au milieu des agitations de l’Europe qu’il ébranlait, lui fit fonder l’Académie française, dont il fut le chef ; amour des lettres qu’il avait par goût, et qu’il fit naître, dit-on, par politique, qui substitua, chez les Français, l’ambition des talents à celle des cabales, et une activité plus douce, à cette activité féroce, nourrie de factions et de crimes. […] Sur l’art de négocier, et sur les intérêts politiques de l’Europe, ils conviennent qu’il montra du génie et une grande supériorité de vues : mais, dans ce genre même, ils lui reprochent une faute importante ; c’est le traité de 1635, portant partage des Pays-Bas espagnols, entre la France et la Hollande. […] Son grand mérite fut l’art de négocier ; il y porta toute la finesse italienne avec la sagacité d’un homme qui, pour s’élever, a eu besoin de connaître les hommes, et a appris à les manier, en les faisant servir d’instruments à sa fortune.