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573. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Où la nature a tout fait, faut-il que l’art vienne étaler son impuissance à l’embellir ? […] Telle fut l’influence de Louis XIV sur l’art dramatique au dix-septième siècle. […] Ce fut la seconde partie de la tâche de Boileau et le sujet de l’Art poétique. […] A cet âge-là, on ne sent pas encore en soi l’homme double ; on n’est pas préparé à goûter l’art du moraliste qui nous démêle de nous-mêmes. […] Art poétique, chant III.

574. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

L’art, le génie de Haydn, le caractère de cette musique riche, savante, magnifique, pittoresque, élevée, y sont présentés d’une manière sensible et intelligible à tous. […] Le Français est sociable, et il l’est surtout par la parole ; la forme qu’il préfère est celle encore qu’il donne à la pensée en causant, en raisonnant, en jugeant et en raillant : le chant, la peinture, la poésie, dans l’ordre de ses goûts, ne viennent qu’après, et les arts ont besoin en général, pour lui plaire et pour réussir tout à fait chez lui, de rencontrer cette disposition première de son esprit et de s’identifier au moins en passant avec elle. […] Au fond, quand il s’abandonne à les goûts et à ses instincts dans les arts, Beyle me paraît ressembler fort au président de Brosses : il aime le tendre, le léger, le gracieux, le facile dans le divin, le Cimarosa, le Rossini, ce par quoi Mozart est à ses yeux le La Fontaine de la musique. […] Il nous reproche d’aimer dans les arts à recevoir les opinions toutes faites, les recettes commodes, et à les garder longtemps même après que l’utilité d’un jour en est passée76. […] Il est probable que Beyle y aura songé en prenant le nom sous lequel il devint un guide de l’art en Italie.

575. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Les ressources de la création, que ce soit Dieu qui crée dans la nature, ou l’homme qui crée dans l’art, sont si complexes et si mystérieuses, que toujours, en cherchant bien, quelque composé nouveau vient déjouer nos formules et troubler nos méthodiques arrangements. […] Elle est un poëte si instinctif, si tendre, si éploré, si prompt à toutes les larmes et à tous les transports, si brisé et battu par tous les vents, si inspiré par l’âme seule, si étranger aux écoles et à l’art, qu’il est impossible près d’elle de ne pas considérer la poésie comme indépendante de tout but, comme un simple don de pleurer, de s’écrier, de se plaindre, d’envelopper de mélodie sa souffrance. […] Les poésies de Mme Desbordes-Valmore, qui, nées ainsi du cœur, n’ont aucun souci d’art ni d’imitation convenue, réfléchissent pourtant, surtout à leur source, la teinte particulière de l’époque où elles ont commencé, et rappellent un certain ensemble d’inspirations environnantes. […] Comme Lamartine, Mme Valmore n’eut de maître que le cœur et l’amour ; comme lui, elle ignore l’art, la composition, le plan ; mais elle est femme, elle est faible, elle n’a rien de l’ampleur ni de la volée du grand cygne ; elle s’écrie de sa branche comme la fauvette veuve (miserabile carmen !) […] qu’importe aussi que Mme Valmore ne soit pas un poëte selon l’art, si elle est la poésie et l’âme ? 

576. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

J’en demande pardon à ces admirables prosateurs qui, révérant l’art des vers dans Corneille, Racine et La Fontaine, comme une rareté ensevelie, désespéraient de le faire renaître. […] Les principaux traits de cet autre moment si bien rempli furent la suprématie, le culte de l’Art considéré en lui-même et d’une façon plus détachée, un grand déploiement d’imagination, la science des peintures, l’histoire entamée dramatiquement, évoquée avec souffle, comme dans le Cinq-Mars et le Cromwell, la reproduction expressive du Moyen-Age mieux envisagé, de Dante et de Shakspeare compris à fond ; on perfectionna, on exerça le style ; on trempa le rhythme ; la strophe eut des ailes ; on se rapprochait en même temps de la vérité franche et réelle dans les tableaux familiers de la vie. […] L’art, ou plutôt les vétilles de l’art, la bordure traînante du manteau, qui, chez quelques disciples de la précédente manière, était relevée et troussée en chemin avec un soin superstitieux, fait souvent place ici à un désordre, à une profusion négligente, qui n’est ni sans charme ni sans affectation. […] Né, j’imagine, avec une sensibilité profonde, il s’est bientôt aperçu qu’il y aurait duperie à l’épandre au milieu de l’égoïsme et de l’ironie du siècle ; il a donc pris soin de la contenir au dedans de lui, de la concentrer le plus possible, et, en quelque sorte, sous le moindre volume ; de ne la produire dans l’art qu’à l’état de passion àcre, violente, héroïque, et non pas en son propre nom ni par voie lyrique, mais en drame, en récit, et au moyen de personnages responsables. […] En s’appliquant à ces faits, pour leur imprimer le cachet de son génie, pour les tailler en diamants et les enchâsser dans un art très-ferme et très-serré, l’auteur n’a jamais songé, ce semble, à les rapporter aux conceptions générales, soit religieuses, soit politiques, dont ils n’étaient que des fragments ou des vestiges ; la vue d’ensemble ne lui sied pas ; il est trop positif pour y croire ; il croit au fait bien défini, bien circonstancié, poursuivi jusqu’au bout dans sa spécialité de passion et dans son expression matérielle ; le reste lui paraît fumée et nuage.

577. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Les grandes ambitions d’art ont disparu. […] Alors se déterminent la plupart des genres et des formes importantes de notre art classique. […] Puis le divorce de l’érudition et de la littérature est opéré, et l’on trouve de la science sans art comme chez Fauchet ou La Popelinière, ou de l’art sans science, comme chez Du Haillan ou Dupleix258. […] Il commença son Art poétique en 1574 ; Henri III l’invita à y travailler ; cet ouvrage n’était pas achevé en 1589, et ne parut qu’en 1605. Éditions : Diverses Poésies, 1605, Caen, gr. in-8 ; Caen, 1869, 2 vol. i n-8 ; l’Art poétique, Paris, Garnier, 1885, in-12. — A consulter : A.

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