Deux gentilshommes les plus qualifiés de la province, le sieur de Comarin et le sieur de Saint-Riran, étaient arrivés de Paris coup sur coup, à quatre ou cinq heures de distance l’un de l’autre, porteurs de deux lettres autographes de Charles IX, qui ordonnait au gouverneur d’avoir créance à ce qu’ils diraient de sa part. […] Sur ce refus, j’alléguai la loi de l’empereur Théodose, qui, après avoir commandé par colère et trop précipitamment la mort d’un grand nombre de chrétiens, fut rejeté de la communion par saint Ambroise, qui le contraignit de venir à pénitence, et, pour une entière satisfaction, faire une loi par laquelle défense était faite aux gouverneurs en l’administration de la justice qui présidaient dans les provinces, de ne faire à l’avenir exécuter tels mandements extraordinaires qui étaient contre l’ordre et la forme de la justice, sans attendre trente jours, pendant lesquels ils enverraient à l’empereur pour avoir nouveau commandement en bonne et due forme ; ainsi qu’il fallait envoyer promptement au roi… Grâce à cet avis d’une ferme et respectueuse résistance qui prévalut et fut adopté, avant même qu’on eût envoyé vers le roi, le contrordre eut le temps d’arriver de Paris : la Bourgogne fut garantie du crime et du malheur commun, et le nom du comte de Charny est inscrit dans l’histoire à côté de ceux du comte de Tendes, de MM. de Saint-Hérem, d’Orthez et d’un petit nombre d’autres, comme étant resté pur de sang dans l’immense massacre. Toute cette première partie de la carrière parlementaire et politique de Jeannin est pour nous d’un intérêt secondaire, et a été éclipsée par la seconde moitié, dans laquelle il appartient non plus à sa province, mais aux affaires de la France et de l’Europe : il n’y arriva cependant que formé par ce long apprentissage. […] Tous les conseils qui lui arrivaient étaient dans ce sens de représailles qui pouvaient sembler légitimes ; le torrent s’enflait à chaque pas, et, au moment où le prince entra dans Paris salué des acclamations d’une multitude ivre de joie et fanatique de colère, il n’y avait plus à songer à le ramener et à le modérer.
— Élevons-nous d’un degré : Combien faut-il de Vauvenargues, d’André Chénier, de Barnave, pour arriver au philosophe, au poète puissant et complet, à l’orateur homme d’État, qui domine son temps, qui fait époque et qui règne ? […] On n’est pas plus héros et plus sceptique à la fois. — Et arrivé à Trente, après avoir réussi : Je me livre à la fortune, mais je m’en défie ; et si la chance est favorable, je m’en défierai plus encore et rechercherai les postes secondaires que vous prétendez que je ne dois plus accepter. […] Le malheur du jeune général que nous verrons sortir si brillamment victorieux, si intrépide et si habile dans les luttes prochaines où il n’était que lieutenant et en second, ce fut, à une certaine heure, d’avoir été poussé au premier rang, d’y être arrivé dans tous les cas trop tôt, et par le jeu des partis qui s’inquiètent peu de vous compromettre et de vous briser, pourvu que vous leur serviez d’instrument un seul jour. […] Mais Bonaparte, nommé général en chef, arrivait à Nice le 27 mars et venait prendre en main cette armée de braves, sans habits, sans pain et sans souliers, qui n’attendait qu’un tel chef pour faire ses prodiges.
il est curieux, de voir ce qu’ils ont bientôt fait d’un jeune général en renom qui leur arrive, comme ils l’enlacent et l’enguirlandent dans leur tourbillon de coteries, dans leurs flatteries et leurs intrigues ; comme ils sont prompts et habiles à se faire de son nom et de son épée un instrument, s’il n’y prend garde et s’il n’est doué du plus mâle bon sens. […] À peine arrivé à l’armée, il s’en aperçut trop. […] Aux premiers coups de fusil, Saint-Cyr envoie prévenir Joubert, qui a peine à quitter son illusion et veut s’assurer de la réalité de l’attaque : « Je vais à la gauche, dit-il, je compte ici sur vous. » Il n’était pas arrivé à son extrême gauche qu’il put voir aux mouvements de l’ennemi que c’était une bataille sérieuse. « Il réalisa aussitôt ce que quelques mots qui lui étaient échappés la veille devaient faire prévoir ; il dit aux aides de camp dont il était entouré : Jetons-nous parmi les tirailleurs ! […] Il eût pu arriver à une grande renommée. » Il est téméraire de prédire ce qui sera ; il est plus téméraire encore et plus vain de prétendre s’imaginer ce qui n’a pas été.
Quoi qu’il en soit, on arrivera avec le temps, j’imagine, à constituer plus largement la science du moraliste ; elle en est aujourd’hui au point où la botanique en était avant Jussieu, et l’anatomie comparée avant Cuvier, à l’état, pour ainsi dire, anecdotique. […] Entendons-nous bien sur ce mot de groupe qu’il m’arrive d’employer volontiers. […] Prenez les mots les moins choquants, les plus doux que vous voudrez, la chose arrive à presque tous. […] Si, après toutes ces facilités d’observation auxquelles il prête plus que personne, on pouvait craindre de s’être formé de lui comme homme et comme caractère une idée trop mêlée de restrictions et trop sévère, on devrait être rassuré aujourd’hui qu’il nous est bien prouvé que ses amis les plus intimes et les plus indulgents n’ont pas pensé de lui dans l’intimité autrement que nous, dans notre coin, nous n’étions arrivé à le concevoir, d’après nos observations ou nos conjectures.
Si, dans les grands et pathétiques naufrages modernes, l’intérêt public se porte naturellement sur les deux ou trois survivants que le radeau a rapportés et qui représentent pour nous les absents abîmés et engloutis, il convient de faire, ce semble, la même chose dans l’ordre de l’esprit et du talent, et de ne pas trop chicaner un ancien qui nous est arrivé par exception et par un singulier bonheur, surtout quand il nous offre en lui des dons charmants, incontestables ; il sied bien plutôt de l’aimer et de le louer tant pour son propre compte que pour les amis et parents qu’il représente et qui ne sont plus, au lieu d’aller se servir de ces noms très grands assurément, mais un peu nus désormais et à peu près destitués de preuves, pour l’infirmer et le diminuer. […] Pour moi, je crois entendre l’Ombre de Ménandre, par chacun de ces vers aimables qui nous sont arrivés en débris, nous dire : « Pour l’amour de moi, aimez Térence. » Les Anciens eux-mêmes, en les comparant, restaient parfois dans le doute. […] « Je m’en réjouissais fort », dit le père. — « Vous aviez bien raison, répond Sosie, qui ne perd jamais l’occasion de glisser son proverbe : je suis bien d’avis qu’il n’y a rien de plus utile dans la vie que rien de trop. » — Simon continue l’éloge de ce modèle de fils qui s’accordait si bien avec tous ceux de son âge, prenait sa part modérée dans leurs plaisirs, se prêtant à tous, ne se préférant à personne : manière sûre de se faire bien venir et d’acquérir des amis. — Le bon Sosie ne manque pas de glisser de nouveau son proverbe et de pousser, selon son habitude, l’idée de son maître jusqu’à en faire une maxime : « C’était bien sage à lui, dit-il, d’en agir ainsi ; car, par le temps qui court, la complaisance engendre l’amitié, la vérité fait des ennemis. » — « Cependant, poursuit le père, voilà bien trois ans de cela, arriva ici dans le voisinage une femme d’Andros, sans parents, pauvre, belle, à la fleur de l’âge. » — « Aïe ! […] … » Le cortège s’avance ; on arrive au tombeau ; on place la morte sur le bûcher.