Ce directeur imprévu de l’enseignement, qui s’était formé lui-même, qui n’avait point hérité des anciennes traditions classiques, et qui n’était pas non plus du groupe polytechnicien proprement dit, mais homme d’esprit, rempli d’observations et d’idées fines, un peu particulières, se mit aussitôt en devoir de les appliquer : J’avais depuis longtemps remarqué, dit-il, les caractères qui distinguent l’esprit des géomètres et des physiciens, de celui des hommes appliqués aux affaires, et de celui des personnes vouées aux arts d’imagination ; dans les premiers (je ne parle que généralement), exactitude et sécheresse ; dans les seconds, souplesse allant quelquefois jusqu’à la subtilité, finesse allant quelquefois jusqu’à l’artifice ; dans les troisièmes, élégance, verve, exaltation portée jusqu’à un certain dérèglement… Ce que je projetais d’après ces observations, ajoute-t-il, était : 1º de faire marcher de front, dès les plus basses classes des collèges, les trois genres de connaissances, littéraires, physiques et mathématiques, morales et politiques, en mesurant à l’intelligence des enfants dans chaque classe les notions de chaque science ; 2º de faire enseigner dans chaque classe, même les plus basses, les trois sciences par trois professeurs différents, dont chacun serait spécialement consacré à l’une des trois… Le but était défaire cesser le divorce entre les diverses facultés de l’esprit, de les rétablir dans leur alliance et leur équilibre, et d’arriver à une moyenne habituelle plutôt que de favoriser telle ou telle vocation dominante. […] Si je parais toujours prêt à répondre à tout, à faire face à tout, c’est qu’avant de rien entreprendre, j’ai longtemps médité, j’ai prévu ce qui pouvait arriver. […] Arrivé à cette date de l’hôtel de Rambouillet, et tenant désormais en main un fil ininterrompu, Roederer insistait, divisait et subdivisait à plaisir.
Pour arriver à la conclusion de la paix générale, il est convenu que les deux couronnes de France et d’Espagne ne seront jamais réunies sur une seule tête. […] Qui que nous soyons et dans quelque genre que la vocation ou la destinée nous ait poussés, tâchons d’être de ceux-là ; tâchons, un jour ou l’autre, d’arriver à la perfection de ce qu’il nous est donné de faire, à la réunion de toutes nos forces, à la plus haute puissance de nous-mêmes : et, comme cette heure et cet accident de grâce et de lumière n’est pas en notre pouvoir, tenons-nous prêts et montrons-nous-en dignes en y visant constamment. […] Et quant à ceux auxquels il est accordé de revêtir leur pensée d’une expression d’éclat et d’imprimer il leur œuvre un cachet d’imagination et de grandeur, ne croyez pas, en général, qu’ils y soient arrivés du premier coup et sans une longue et opiniâtre conquête au-dedans.
Sans prétendre trouver rien de bien neuf à dire sur le détail de ses œuvres, on arrivera peut-être de loin à mieux le voir dans le coin du siècle, dans le groupe particulier auquel il appartient, et dont il est le plus gentil esprit et non pas le moins sérieux. […] S’ils n’ont pas produit des ouvrages plus durables et qui soient de nature à nous plaire encore, « prenez-vous-en, dit-il, aux siècles barbares où ces grands esprits arrivèrent, et à la détestable éducation qu’ils y reçurent en fait d’ouvrages d’esprit. […] Aujourd’hui qu’on étudie à fond ces auteurs, les saint Bernard, les saint Thomas d’Aquin, les Abélard, et aussi les Vincent de Beauvais, les Roger Bacon, on arrive à reconnaître en quoi ces hommes, au milieu d’une civilisation qui avait tant rétrogradé en apparence, si on la compare à celle d’un Sénèque, d’un Pline l’Ancien ou d’un Cicéron, avaient pourtant des vues soit dans l’ordre moral, soit même dans l’ordre des sciences physiques, des conceptions et des essors déjà, qui étaient le résultat ou le signal d’un avancement et d’un progrès pour l’espèce.
Que serait-il arrivé si, dans ces premiers instants, Henri IV avait été relégué au bout du royaume, cantonné en sa Rochelle, au cœur de son refuge de calvinisme ? […] Que serait-il arrivé si Henri IV avait vécu davantage ? […] Noblesse généreuse et brave, bien française, et qui a su accepter depuis et pratiquer l’égalité sur tous les champs de bataille ; mais si quelques descendants de cet ordre, qui était le préféré du prince dans l’État, pouvaient, dans des considérations rétrospectives, regretter la forme intérieure de monarchie qui parut possible un moment sous Henri IV, ils ne feraient qu’obéir à des instincts ou à des intérêts particuliers de race : les fils du peuple, les enfants du tiers état, arrivés à la vraie égalité, et qui n’ont pas perdu pour attendre, n’ont rien à y voir ; ce sont vœux et utopies en arrière38.
S’agit-il de l’acclimatation, s’agit-il de l’agriculture et de l’élève des bestiaux, s’agit-il des haras, lisez ce qu’en écrivent journellement dans leurs rapports les administrateurs intelligents et entendus qui possèdent leur sujet ; pour moi, s’il m’arrive parfois de jeter les yeux sur ces comptes rendus, je l’avoue, ils m’attachent, ils piquent mon attention, même d’écrivain ; ils enrichissent mon vocabulaire et ma langue en même temps qu’ils m’instruisent. […] De même que La Bruyère a peint des caractères moraux qui font type, on arriverait ainsi à tracer quantité de portraits-caractères des grands écrivains, à reconnaître leur diversité, leur parenté, leurs signes éminemment distinctifs, à former des groupes, à répandre enfin dans cette infinie variété de la biographie littéraire quelque chose de la vue lumineuse et de l’ordre qui préside à la distribution des familles naturelles en botanique et en zoographie. […] Voyez, rappelez-vous ce qui est arrivé.