Prisonnier par accident, enlevé par une guérilla, enfermé, frappé de langueur, mourant après seize mois de misère sur un lit d’agonie, il ne parvenait point à apprendre distinctement son nom à la France et à l’histoire. […] Ces mots brisèrent mon âme, ma joie disparut ; il me sembla que je ne partais plus, et je n’éprouvai d’autre émotion de plaisir, en lisant la lettre de ma sœur, écrite de Saragosse, que celle d’avoir des nouvelles de ma famille et d’apprendre qu’elles étaient satisfaisantes, J’essayerais en vain de décrire les combats continuels qui, pendant les deux jours que je restai encore dans l’Alhambra, s’élevaient dans mon cœur. […] … Je serais bien garant, d’après l’entretien que je viens d’avoir avec lui, qu’il fut toujours le plus vertueux des hommes. » Je n’ai jamais oublié ce peu de mots et j’avoue que, quoiqu’ils ne m’aient rien appris de nouveau, j’ai cependant eu du plaisir à les entendre de la bouche de ce bon prêtre. […] Une note du ministère de la guerre, rédigée au lendemain de sa mort, nous apprend qu’il était le dernier de quatre frères, tous militaires et morts au service.
En un mot, tout ce que Malouet nous apprend de Raynal l’excuse peut-être et l’innocente, mais ne le grandit pas. […] Cet épisode des Mémoires, sans rien apprendre de bien nouveau, est curieux et s’ajoute, pour le confirmer, à ce que l’on connaît de Barnave : « Je savais, dit Malouet, où il en était vis-à-vis du roi ; je savais qu’il y avait de sa part conviction de ses erreurs, désir sincère de les réparer ; mais il ne convenait pas de paraître instruit de ses projets, s’il évitait de s’en expliquer avec moi. […] C’est ainsi que la page suivante a toute sa valeur, venant de lui ; elle résume encore aujourd’hui avec exactitude ce que tant de publications récentes et de correspondances secrètes ont appris et démontré en détail : il vient de faire une revue générale des partis : « … Tel était alors l’état de la nation dont les représentants faibles ou corrompus avaient à régler les destinées ; ils en étaient incapables. […] Je lui dis que ces messieurs, qui voulaient quitter Londres, avaient été aussi étonnés que moi d’apprendre dans les bureaux que son consentement était nécessaire pour cela ; que je n’imaginais pas qu’il se chargeât d’une telle responsabilité vis-à-vis des Français expatriés et même vis-à-vis du Gouvernement anglais, et que j’espérais qu’il démentirait cette imputation, qui le compromettrait si le Parlement en avait connaissance.
On ne nous apprenait rien de semblable dans nos écoles militaires. […] Les vieux généraux de la guerre de Sept Ans, exhumés après tant d’années et pris pour guides, se trouvèrent à court ; ils n’avaient rien appris depuis : « l’âge avait glacé chez eux les qualités qui leur avaient valu du renom, et ne leur avait pas donné le génie, car le génie n’est jamais le fruit de l’âge ni de l’expérience. » Les jeunes, « le prince de Hohenlohe, et Massenbach, son bras droit, avaient tout juste assez d’esprit et de science pour prendre de la guerre ce qu’il y avait de plus faux. » Les manœuvres leur cachaient les vrais mouvements. […] » La campagne d’Iéna, comme celle d’Ulm, « devait servir de modèle un jour pour apprendre aux généraux l’art de réunir à propos leurs forces, et de les diviser ensuite quand elles ont frappé : je dis modèle, si tant est qu’il y en ait à pareil jeu ; car tout jeu savant suppose le joueur, tout art suppose essentiellement l’artiste ; et la variété, la nouveauté dans l’application, qui se différencie et recommence sans cesse à chaque cas imprévu, c’est l’habileté souveraine, c’est le génie35. […] M. de Fezensac nous apprend aussi de quelle façon le maréchal Ney traitait ses aides de camp, et en général comment le service des ordonnances se faisait dans la grande armée.
Apprenez à vos milices à combattre en ligne s’il le faut, ou à se disperser en partisans après une bataille perdue pour reparaître sur des points donnés et y renouveler la lutte. Que vos chefs étudient les dernières guerres et apprennent à combiner leurs marches comme Napoléon, à combattre comme Wellington, ou à guerroyer au besoin comme Bonchamp, d’Elbée, les Vendéens et les Espagnols. » Et après quelques conseils précis et topiques sur la formation d’un bon état-major, il ajoutait : « Si, malgré le soin que je mettrai à garder l’anonyme, on parvenait à deviner l’auteur de ces vœux patriotiques, je ne les désavouerai point, et on sera facilement convaincu de leur désintéressement. […] Le plus grand éloge qu’on puisse faire de ce livre, c’est qu’après tout ce qu’on a publié de Napoléon et de ses textes authentiques, il se lit encore avec intérêt, et que les curieux qui sont de loisir trouveront à y apprendre. […] J’ai voulu tout cela sans doute, et aussi payer un tribut personnel à la mémoire d’un homme bienveillant, dont les entretiens m’avaient beaucoup appris.
Pourtant il devint amoureux ; et, sans admettre ici l’anecdote invraisemblable racontée par Fontenelle, et surtout sa conclusion spirituellement ridicule, que c’est à cet amour qu’on doit le grand Corneille, il est certain, de l’aveu même de notre auteur, que cette première passion lui donna l’éveil et lui apprit à rimer. […] Il se mit en relation avec les beaux esprits et les poëtes du temps, surtout avec ceux de son âge, Mairet, Scudery, Rotrou : il apprit ce qu’il avait ignoré jusque-là, que Ronsard était un peu passé de mode, et que Malherbe, mort depuis un an, l’avait détrôné dans l’opinion ; que Théophile, mort aussi, ne laissait qu’une mémoire équivoque et avait déçu les espérances, que le théâtre s’ennoblissait et s’épurait par les soins du cardinal-duc ; que Hardy n’en était plus à beaucoup près l’unique soutien, et qu’à son grand déplaisir une troupe de jeunes rivaux le jugeaient assez lestement et se disputaient son héritage. Corneille apprit surtout qu’il y avait des règles dont il ne s’était pas douté à Rouen, et qui agitaient vivement les cervelles à Paris : de rester durant les cinq actes au même lieu ou d’en sortir, d’être ou de n’être pas dans les vingt-quatre heures, etc. […] Apprenez leur langue, elle est aisée ; je m’offre de vous montrer ce que j’en sais, et, jusqu’à ce que vous soyez en état de lire par vous-même, de vous traduire quelques endroits de Guillen de Castro. » Ce fut une bonne fortune pour Corneille que cette rencontre ; et dès qu’il eut mis le pied sur cette noble poésie d’Espagne, il s’y sentit à l’aise comme en une patrie.