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597. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

» Les écrivains laïques, pourvu qu’ils soient catholiques et théologiens, sont appelés à faire dans la littérature religieuse plus de bien que les prêtres eux-mêmes, à talent égal ; car, après tout, ce qu’il faut impérieusement, c’est d’amener le plus d’âmes possibles à la vérité. […] Et l’intérêt qu’elle inspire, pour toutes ces raisons, est si grand, que partout où l’on prend cette histoire, partout où l’on coupe une tranche dans ce splendide morceau intellectuel qu’on appelle l’histoire de l’Église, il y a des régals inouïs, je ne dis pas seulement pour la foi, mais pour la pensée. […] l’histoire d’un seul Pape, dans l’histoire de l’Église, a de tels rayonnements en avant et en arrière que ce n’est plus l’histoire d’un siècle ni d’un Pape, mais l’histoire de l’Église universelle et éternelle, concentrée dans la minute d’un siècle ou d’une vie d’homme, comme tout un horizon répercuté et concentré dans une facette de diamant… En intérêt, l’Histoire de la Papauté pendant le xve  siècle, par l’abbé Christophe, vaut, avec d’autres événements et des personnalités différentes, son Histoire de la Papauté pendant le xive  siècle, et elle a le même mérite d’unité dans la variété qui est le caractère particulier de toutes les histoires détachées de l’histoire générale de l’Église, qui a bien raison de s’appeler catholique, c’est-à-dire universelle ; car si Dieu l’ôtait de ce monde, il s’y ferait un de ces trous, comme dit Shakespeare en parlant des monarchies qui croulent, que rien — quoi qu’on y jette — ne peut plus combler ! […] Le xve  siècle, malgré le mérite de plusieurs de ses pontifes, a été infidèle à cette belle loi qu’on pourrait appeler la loi même de la papauté : Quand un pape n’est pas un saint et un grand homme tout à la fois, il est l’un ou l’autre, et c’est avec ses saints que la papauté fait l’intérim de ses grands hommes.

598. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Les Romantiques de 1830, qui ont tant tourné et retourné le xvie  siècle, avaient trouvé, au milieu des os et des armures de cet ancien champ de batailles et de poésie, cette espèce de torse à la Michel-Ange, en corselet, qu’on appelle Agrippa d’Aubigné, — le poète-capitaine, — et ils avaient jeté un cri d’admiration devant la grande tournure de ses vers… Ce fut une surprise ; il était à peu près tombé dans l’oubli. […] Nous avons tous les os de cette grande anatomie qui s’appelait Agrippa d’Aubigné. […] On l’appela Agrippa (d’ægre partus), parce qu’en venant au monde il avait tué sa mère et failli lui-même de mourir. […] Assurément, il n’est pas douteux qu’il y a ici, comme nous venons de le dire très haut, un fort poète, de facultés considérables, — mais d’une puissance qui n’est allée cependant nulle part jusqu’à ce quelque chose de pur et d’absolu qu’on appelle en poésie un chef-d’œuvre.

599. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

I Ce n’était pas même un livre qui me tombait sous la main, c’était ce qu’en jargon de librairie on appelle une plaquette. […] Eh bien, cette misérable plaquette, d’un si austère mépris pour toutes les coquetteries extérieures des livres, s’appelait fastueusement : Poésies philosophiques, comme si elles étaient d’Aristote ; — mais elles n’en sont pas. […] Il fallait Proudhon, qui faisait mieux que de nier Dieu, car il le diffamait et l’appelait le mal. […] Mais il n’y en a point qui montre par un côté plus grand cette malheureuse athée qui se dresse avec tant de furie sur ses petits ergots contre le Seigneur, et à qui il ne manque, pour être ce phénix renaissant incessamment de ses cendres qu’on appelle avec le tremblement du respect : « un grand poète », que l’abondance dans les sujets et la variété de l’inspiration.

600. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Seulement, après les chefs-d’œuvre, il faut compter pour les seconds ces livres spirituels dont le cœur humain fait le fond, qui s’appellent René ou Werther, Ourika, Édouard, Frère Ange ou Adolphe, et qui furent écrits avec cette goutte d’encre dont parle Joubert, qui peut bien mettre du temps à tomber, mais qui, en tombant, devient une goutte de lumière. […] Édouard Gourdon est, de fonction du moins, un esprit positif : ce qu’on appelle un homme pratique. […] Après avoir savouré les détails de son livre, qui sont jolis souvent et parfois touchants, après avoir admiré l’adresse et la délicatesse de touche avec laquelle l’auteur, qui est l’amant de son histoire, sauve sa maîtresse de la vileté ordinaire aux femmes comme elle, — car, il faut bien le dire, Louise est de la race aux camélias, dont on abuse vraiment trop dans les romans et au théâtre, et qui fera, si on continue, appeler la littérature française du xixe  siècle la littérature des filles entretenues, — on est tout étonné de cette rupture peu intelligible qui vient brusquement clore le livre, et on voudrait se l’expliquer. […] Il est tout entier dans la figure de Jean Gigon, type du soldat français en ces dernières années12, et qui n’est plus du tout, quoiqu’il y ait identité de cette bravoure qui est venue des Gaulois à nous et qui s’appelle la furie française, qui n’est plus du tout la figure connue des soldats français des autres temps.

601. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

III En effet, de tous les romans d’aventure, celui-là qui s’appelle Gil Blas passe, à tort ou à raison, pour un parangon sans égal. Gil Blas est respecté non-seulement comme le chef-d’œuvre du roman et le génie du roman au dix-huitième siècle, mais comme un chef-d’œuvre de l’esprit humain, et une telle opinion ne m’étonne pas, venant, comme elle en vient, du dix-huitième siècle… Pour mon compte, cela ne m’étonne nullement que le siècle qui admira cette brillante canaille de Casanova, d’Aventuros Casanova, comme l’appelait le prince de Ligne, ait trouvé Gil Blas une œuvre charmante et sublime. […] et pour arriver à la simplicité du plan, au rhythme aisé du récit, à la concision savante, à la mesure, à l’ordre lucide, à ce fini dans l’art que Platon appelait, avec une justesse si exquise, une rondeur, M.  […] La Critique s’est détournée de lui et de ses œuvres, cette même Critique qui s’arrête, s’assied, et examine longtemps un simple volume, s’il s’appelle, par exemple, Madame Bovary… Et comment ne se détournerait-elle pas ?

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