Élevé d’abord chez les Jésuites de Reims, puis au collège de Navarre à Paris, il s’y distingua dans toutes les branches, et y donna surtout des témoignages précoces de cette faculté mathématique qui, chez ceux qui la possèdent, n’attend jamais le nombre des années. […] Écoutons Condorcet rendant compte de ces mouvements précurseurs, dans la Chronique de Paris du 18 juin : Plusieurs sections de Paris se sont présentées à la barre ; leurs pétitions avaient toutes le même objet en vue, celui d’écarter les dangers qui menacent la chose publique… Ce sont les mêmes hommes qui en 89, et à peu près à cette époque, délibéraient avec autant de calme que de fermeté sur les moyens de réprimer l’insolence de la tyrannie… Mais, familiarisés aux principes politiques par trois années de révolution, ce n’est plus par le sentiment seul que produisent les événements qu’ils se laissent entraîner. […] Cette fin malheureuse et les circonstances touchantes qui l’accompagnèrent, le long deuil, le mérite et la beauté de sa noble veuve, cette pitié et cette indulgence mutuelle dont chacun avait besoin après tant d’erreurs et tant d’excès, ont pu recouvrir les torts de ses dernières années et faire remonter peu à peu son nom au rang d’où il n’aurait jamais dû le laisser déchoir.
Par sa péroraison, il entraîne avec lui toute la classe de rhétorique, qui, n’ayant plus qu’un mois d’études avant les vacances, prend sur elle d’abréger, de proclamer l’année scolaire close un mois plus tôt, et de se retirer en masse et en bon ordre avec les honneurs de la guerre. […] L’homme qui fait des souliers est sûr de son salaire ; l’homme qui fait un livre ou une tragédie n’est jamais sûr de rien. » Marmontel devint donc, en 1753, secrétaire des Bâtiments sous M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour ; dès lors il habita Versailles, et durant cinq années il vécut pêle-mêle et tour à tour avec des artistes, avec des intendants des Menus-Plaisirs, travaillant à sa guise, étudiant à ses heures, et voyant toutes sortes de sociétés qu’il nous peint fidèlement, la société des premiers commis comme celle des philosophes, le financier Bouret comme d’Alembert : Oui, j’en conviens, dit-il, tout m’était bon, le plaisir, l’étude, la table, la philosophie ; j’avais du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrais volontiers à la folie avec les fous. […] Membre de l’Académie française depuis 1763 et secrétaire perpétuel depuis 1783, historiographe de France, historiographe des Bâtiments, ayant droit à des logements au Louvre et à Versailles, ayant des pensions sur le Mercure et encore ailleurs, il jouissait, dans les années qui précédèrent la Révolution, de l’existence d’homme de lettres la plus complète qu’on pût souhaiter.
L’affaire dura des années : Beaumarchais la poursuivit à tous les degrés de juridiction, depuis les gentilshommes de la Chambre jusque devant l’Assemblée constituante. […] Il y eut là pour lui cinq ou six années uniques (1771-1776) où, sous le coup de la lutte et de la nécessité, et dans le premier souffle de la faveur, il arriva à la pleine expansion de lui-même, et où il se sentit naître comme des facultés surnaturelles qu’il ne retrouvera plus jamais à ce degré. […] Beaumarchais s’y employa durant des années.
Voici la fameuse grotte tapissée de vigne, de cette vigne devenue vierge au cours des années ; voici les mille fleurs naissantes qui émaillent toujours les vertes prairies ; voici le doux nectar, la vie lâche et efféminée, la jeunesse présomptueuse ; voici « le serpent sous les fleurs ». […] Parfois les écrivains illustres, après des années ou des siècles, se délivrent de la meute des imitateurs parasites ; c’est l’interrègne, puis la résurrection de la gloire et d’une influence désormais restreinte, mais profonde. […] Cité, il y a quelques années, ainsi que deux ou trois autres absurdités, dans les Echos du Mercure.
Il commit aussi l’aiguë souffrance que cause, après des années d’oubli, l’amante revue, mais flétrie, fanée, … Les seins pendants, Les yeux vitreux, les muscles des joues. […] Il a passé ses dernières années à draper décemment autour de son pauvre corps les plis d’une tunique mortuaire, sans oublier jamais son rôle de malade spirituel, sans une lamentation, une demande de grâce, sans même la raideur théâtrale du stoïcien. […] L’immortalité de l’âme vous est alors accordée par surcroît, comme cet os médullaire que le boucher glisse gratis dans le panier de ses bonnes pratiques. » On peut croire qu’il poursuivit jusqu’au bout ce retour aux croyances de sa jeunesse, que dans ses dernières années, il abjura son déisme vague, en esprit et en fait, et rentra dans la synagogue.