Il avait déjà dit, dans ses Lettres sur les Anglais, qu’on ne lisait plus Dante en Europe « parce que tout y était allusion à des faits ignorés : il en est de même d’Hudibras. » Mais dans une lettre adressée au Père Bettinelli, auteur des Lettres Virgiliennes, où Dante était traité assez lestement, Voltaire se découvrait encore davantage (mars 1761) : Je fais grand cas, écrivait Voltaire à ce littérateur italien, du courage avec lequel vous avez osé dire que le Dante était un fou, et son ouvrage un monstre.
Gandar explique mieux qu’on ne l’avait fait encore comment Ronsard n’a pu triompher des différences essentielles qu’offre chez les Anglais et chez les modernes le genre qu’il prétendait embrasser avec audace et renouveler dans toute sa variété.
Il n’était pas fâché, tout en rendant une éclatante justice à l’Antiquité et aux nations étrangères, de faire une sorte de réaction contre la gloire littéraire de la France. « Ce ne sera pas un désavantage à nos yeux, écrivait son traducteur anglais, qu’il ait été impitoyable dans ses hostilités contre la littérature de nos ennemis40. » Il y eut là un coin de faiblesse et, on peut dire, d’infirmité chez un si grand esprit.
Qu’on me permette un exemple bien disproportionné quant à la splendeur, mais non pas quant aux circonstances essentielles : supposez que de la grande Histoire de Mézeray on n’ait conservé que les premiers âges à demi fabuleux des Mérovingiens, et puis les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, et, si l’on veut même, de Charles VII, les guerres des Anglais, et qu’on ait perdu tout le xvie siècle, où Mézeray abonde et excelle, ces tableaux des guerres civiles religieuses, où il est le compilateur le plus nourri, le plus naïvement gaulois et le plus indépendant à la française, où il se montre le mieux informé et le plus sensé des narrateurs ; aura-t-on, je le demande, du talent de Mézeray et de sa nature d’esprit une idée entière, et surtout pourra-t-on pousser cette idée et la définition de cet esprit jusqu’à la rigueur d’une formule, jusqu’à en extraire le dernier mot ?
Ce n’était plus un Genevois ou de naissance ou d’adoption ; c’était, je crois bien, un Bernois que le Suisse de Muralt, auteur d’intéressantes Lettres sur les Anglais et les Français, publiées pour la première fois en 1725, mais dont la composition, antérieure de près de trente ans, remonte par conséquent aux dernières années du xviie siècle.