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1663. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Par sa naissance, par son éducation et sa première vie dans une province la plus fidèle de toutes à la tradition et à l’ordre ancien, par le genre de ses relations ecclésiastiques et royalistes dans le monde lorsqu’il s’y lança, par la nature de son scepticisme lorsqu’il fut atteint de ce mal, par la forme soumise et régulière de son retour à la foi, par tout ce qui constitue enfin les mœurs, l’habitude pratique, l’union de la personne et de la pensée, l’allure intérieure ou apparente, la qualité saine du langage et l’accent même de la voix, M. de La Mennais, à aucune époque, n’a trempé dans le siècle récent, ne s’y est fondu en aucun point ; il a demeuré jusqu’en ses écarts sur des portions plus éloignées du centre et moins entamées ; dans toute sa période de formation et de jeunesse pieuse ou rebelle, il a fait le grand tour, pour ainsi dire, de notre Babylone éphémère, et si plus tard il est entré dans l’enceinte, ç’a été avec un cri d’assaut, muni d’armes sacrées, se hâtant aux régions d’avenir et perçant ce qui s’offrait à l’encontre au fil de son inflexible esprit. […] On voit d’où lui viennent les habitudes solides et anciennes de son style. […] Nous avons été assez favorisé pour entendre, durant plusieurs jours de suite, les premiers développements de cette forte recherche : ce n’était pas à La Chênaie, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d’oratoriens où bien des hôtes s’étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu’à Fouché : je ne me souvenais que de Malebranche.

1664. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Il a fallu que j’arrivasse à trente ans, que mes observations se soient mûries et condensées, qu’un jet de lumière les ait même encore éclairées, pour que je pusse comprendre toute la portée des phénomènes dont j’ai été le témoin ignorant. » Il fallut peut-être à M. de Balzac, pour éveiller et ressusciter cet ancien Lambert enseveli en lui, qu’un éclair lui vînt, tombé du front d’Hébal, ce noble frère de la même famille. […] quels furent ses débuts littéraires, et les tâtonnements multipliés et infructueux dont ses anciens amis nous parlent tant depuis qu’il est devenu célèbre ? […] Pour en revenir à ma comparaison de M. de Balzac avec un alchimiste, je dirai que, même après la transmutation trouvée, cet alchimiste, qui n’a pas eu pleine connaissance de son procédé heureux, rétrograde parfois et revient à ses anciens tâtonnements ; qu’il retombe dans les scories et les dépenses infructueuses ; qu’il fait en beaucoup d’opérations de l’or très-mêlé ou faux.

1665. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Nisard, ancien élève et très-fort élève de la Sainte-Barbe-Nicole, et rédacteur encore secondaire aux Débats, se montrait fort attentif, vers 1829, au mouvement littéraire et poétique qui s’émancipait de plus belle alors. […] Mais, à mesure qu’il avançait, l’esprit qui domine dans ce livre augmentait aussi d’influence, et y donnait une couleur qui n’a pas été assez remarquée des critiques : n’y voyant que la lettre, ou faisant semblant, ils l’ont traité comme un pur ouvrage de littérature ancienne. […] Mais sous cette fatalité générale (et toute réserve faite des causes qui peuvent introduire plus d’une différence essentielle dans le parallèle entre les anciens et nous), il y a encore place pour les exceptions, pour les individus qui luttent, pour les hommes de talent qui cherchent à sauver l’œuvre de la dureté des temps et de la difficulté croissante.

1666. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Dans la seconde partie, je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l’influence qu’ils ont laissée, aux passions naturelles aux hommes réunis en corps politique, et trouver la cause de la naissance, de la durée, et de la destruction des gouvernements, dans la part plus ou moins grande qu’ils ont faite au besoin d’action qui existe dans toute société. […] Il faudrait d’abord, en analysant les gouvernements anciens et modernes, chercher dans l’histoire des nations ce qui appartient seulement à la nature de la constitution qui les dirigeait. […] j’ai tant éprouvé ce que c’était que souffrir, qu’un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s’emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun ; des chagrins inévitables et des tourments de l’imagination, des revers de l’homme juste, et même aussi des remords du coupable, des blessures du cœur les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins ; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l’homme était auguste à leurs yeux.

1667. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Si vous introduisez la patte détachée et écorchée d’un jeune rat sous la peau du flanc d’un autre rat, elle s’y greffe, s’y nourrit, s’y accroît, acquiert toutes ses pièces, toutes ses soudures, toute sa structure ordinaire, comme si elle fût demeurée chez son ancien propriétaire. […] Des fragments de vos sensations anciennes ont ressuscité en vous ; vous avez revu, les yeux fermés, des bouts de vert, de bleu, de luisant sombre ; il vous est revenu des restes de sons ; et, toutes proportions gardées, en petit, incomplètement, ces débris survivants de la sensation primitive ont eu le même effet que la sensation primitive ; le travail hallucinatoire s’est fait à demi. […] Cela dura plusieurs semaines, et il commençait à s’inquiéter, quand, tout d’un coup, l’obsession disparut. — Il n’y a pas d’image normale, même la plus ancienne, la plus affaiblie, la plus latente, qui ne puisse végéter et s’amplifier de la sorte, de même qu’il n’y a pas de graine de pavot, la plus petite, la plus abandonnée au hasard, qui ne puisse devenir un pavot.

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