On aurait ainsi, non pas précisément un document historique ajouté à tant d’autres, mais une grande chronique de mœurs, un ardent commérage de société par celle qu’on peut appeler le Gui Patin ou le Tallemant des Réaux de la fin du xviie siècle et des premières années du xviiie ; on aurait un livre vivant, spirituel et brutal, qui ferait pendant et vis-à-vis à Saint-Simon sur plus d’un point. […] J’ai vu une fois cette princesse s’endormir, et, un instant après, se réveiller en sursaut et continuer d’écrire… Madame confesse quelque part qu’elle dormait à l’église : « Le matin, je n’y dors pas, mais le soir, après dîner, il m’est impossible d’y rester éveillée. — Je ne dors pas à la Comédie, ajoute-t-elle, mais très souvent à l’Opéra. » Ici nous venons de la surprendre dormant même dans ce qu’elle aime le mieux après la comédie, dans sa correspondance. […] Le Régent n’a jamais été mieux peint que par sa mère ; elle nous le montre avec toutes ses facilités, ses curiosités en tous sens, ses talents, son génie propre, ses grâces, son indulgence pour tous, même pour ses ennemis ; elle dénonce ce seul défaut capital qui l’a perdu, cette débauche ardente et à heure fixe, où il s’abîmait et disparaissait tous les soirs jusqu’au matin : Tout conseil, toute remontrance à cet égard sont inutiles, disait-elle ; quand on lui parle, il répond : « Depuis six heures du matin jusqu’à la nuit, je suis assujetti à un travail prolongé et fatigant ; si je ne m’amusais pas un peu ensuite, je ne pourrais y tenir, je mourrais de mélancolie. » — Je prie Dieu bien sincèrement pour sa conversion, ajoute-t-elle ; il n’a pas d’autres défauts que ceux-là, mais ils sont grands.
Quand je dis qu’il y avait tout mis et tout versé de lui-même, je me trompe : il y avait des points sur lesquels il s’était montré moins explicite et moins décidé qu’il ne l’était au fond réellement Aussi, quelques mois après avoir publié cet écrit et quand il comptait en donner une seconde édition, il avait noté de sa main en marge sur un exemplaire diverses modifications à y introduire, et, oubliant bientôt que l’exemplaire était destiné à des imprimeurs, il s’était mis à y ajouter pour lui-même en guise de commentaires ses plus secrètes pensées. […] » Puis en marge il ajoute de sa main cette note touchante qui est faite pour racheter bien des incrédulités amères, et dont les premiers mots respirent une naïveté douloureuse : C’est ce qui m’est arrivé vingt fois, mais malheureusement j’avais toujours l’inquiétude du lendemain. […] votre Dieu n’est plus qu’un tyran horrible et absurde » ; tout à côté de ces mots imprimés Chateaubriand ajoutait de sa main ; « Cette objection est insoluble et renverse de fond en comble le système chrétien.
Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! […] Les Romains pouvaient faire cela, ajoute Montluc, mais non pas les chrétiens. » C’est dans cet état qu’on vint apprendre à M. d’Enghien que cette victoire qu’il tenait pour perdue était à lui et aux siens. […] Le roi pourtant eut son avis, à lui, et démêla les qualités essentielles de son brave serviteur sous les défauts dont on le chargeait : « Le roi répondit qu’il avait toujours vu et connu que la colère et bizarrerie qui était en moi n’était sinon pour soutenir son service, lorsque je voyais qu’on le servait mal : or, jamais il n’avait ouï dire que j’eusse pris querelle avec personne pour mon particulier. » M. de Guise, favorable à Montluc, fit aussi cette remarque devant le roi, que le maréchal de Brissac se contredisait dans sa lettre, en déniant d’une part à Montluc l’ordre de talents nécessaires pour commander au nom du roi, et d’autre part en le louant si fort pour des qualités qui sont pourtant les principales en un homme de commandement, telles que d’être homme de grande police et de grande justice, et de savoir animer les soldats en toute entreprise : « Qui a jamais vu, ajoutait M. de Guise, qu’un homme doué de toutes ces bonnes parties n’eût avec lui de la colère ?
C’est ainsi que dans la démonstration de la première vérité, qui est l’existence de Dieu, avec les attributs principaux qui en achèvent l’idée, Charron, au lieu de s’appuyer sur le sens commun, sur le sentiment général humain si d’accord avec cette croyance, insiste bien plutôt d’abord sur les difficultés et les impossibilités de concevoir dans sa grandeur propre cette idée infinie ; il dit avant Pascal, et en termes encore plus formels, qu’il y a une sorte de négation absolue non seulement du Dieu-Providence, mais de la cause première, qui ne se peut loger « que dans une âme extrêmement forte et hardie » ; il est vrai qu’il ajoute aussitôt : en une âme « forcenée et maniaque ». […] Cette opinion, ajoute-t-il cependant, me semble trop rude et éloignée de charité, et il y a comme en toute chose une médiocrité plus douce, qui est de ne forcer ni presser, mais tout simplement montrer et proposer le meilleur ; car il y a toujours en ce grand nombre quelques-uns capables et disposés à suivre en le leur montrant seulement au doigt. […] Louvet ajoute que les huguenots se plaignirent au gouverneur : et sous ce nom de huguenots, l’écrivain ligueur comprend tous les royalistes qui blâmaient ces prédications incendiaires.
C’est-à-dire que, de ces hommes plus sages, les uns rient, et les autres pleurent : les uns se moquent et prennent tout par le ridicule, les autres penchent du côté de la plainte ou de la crainte, n’osent parler que bas et à demi-bouche ; ils déguisent leur langage ; ils mêlent et étouffent leur pensée ; ils ne parlent pas sec, distinctement, clairement : Je viens après eux et au-dessous d’eux, ajoute Charron ; mais je dis de bonne foi ce que j’en pense et en crois, clairement et nettement. […] Il accorde beaucoup à la piété, à la véritable, qu’il distingue soigneusement et en traits vigoureux d’avec la superstition ; puis il ajoute un avis nécessaire, dit-il, à celui qui prétend à la sagesse, qui est, d’une part, de ne point séparer la piété de la vraie prud’homie, et d’autre part, et encore moins, de ne les confondre et mêler ensemble : « Ce sont deux choses bien distinctes et qui ont leurs ressorts divers, que la piété et la probité, la religion et la prud’homie, la dévotion et la conscience : je les veux toutes deux jointes en celui que j’instruis ici… mais non pas confuses. » Le père Buffier, d’ailleurs très équitable envers Charron, a relevé ce passage en disant : « Une probité sans religion serait une probité sans rapport à la divinité et indépendante de la loi de Dieu. […] On citerait de Charron quantité de beaux et judicieux passages pour la tolérance et contre les dogmatistes opiniâtres, qui veulent donner la loi au monde : « Où le moyen ordinaire fait défaut, l’on y ajoute le commandement, la force, le fer, le feu. » Il parle avec bien de l’humanité et du bon sens contre la question et la torture : avec bien du sens aussi contre l’autorité en matière de science.