/ 3257
917. (1890) L’avenir de la science « XXI »

Il y a, je l’avoue, des sciences qu’on pourrait appeler umbratiles, qui aiment la sécurité et la paix. […] Ceux qui se trouvent bien du monde tel qu’il est ne peuvent aimer le mouvement, à moins qu’ils ne s’élèvent au-dessus des vues d’intérêt personnel. […] L’espérance est de notre âge, et nous aimons mieux succomber dans la lutte que de mourir de froid ou de peur. […] Vous blâmez le XVIIIe siècle, qu’autrefois vous aimiez ; blâmez donc aussi la Renaissance, blâmez tout l’esprit moderne, blâmez l’esprit humain, blâmez la fatalité. […] J’aime cent fois mieux les chemins raboteux de Bretagne, au bord desquels paissent les moutons.

918. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Il aime la nièce du père qu’il a retrouvé, il en est aimé. […] Son fils y pensait déjà et lui propose madame Godefroy, une riche veuve, d’une maturité agréable, qui l’aime discrètement depuis très longtemps. […] André ne s’est pas récrié, quoique cette déclaration imprévue l’ait atteint au cœur : il aime Hélène, il allait demander sa main. […] Ce Tournas avait raison, son fils ne l’aime plus !

919. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

M. de Lamartine loue beaucoup sa mère ; rien de plus naturel au premier abord ; il semble qu’un père et qu’une mère soient de ces êtres qu’on ne puisse trop louer ou du moins trop aimer. […] Parmi les auteurs qu’il lit d’abord et qu’il aime, nous trouvons le Tasse, Bernardin de Saint-Pierre, Ossian ; c’est tout simple, et l’affinité des natures, la parenté des génies se déclare. […] Quelles nuits, s’écrie le poète, que ces nuits furtives passées à retenir les heures dans le sein de tout ce qu’on aime ! […] Cette phraséologie abondante et monotone finit par lasser ceux mêmes qui aimaient le plus à se laisser bercer à la belle langue du poète. […] Les cœurs s’ouvrent sans défiance, ils se soudent tout de suite… » Est-ce Bernardin de Saint-Pierre encore qui dans cette scène, jolie d’ailleurs, où Graziella, pour mieux plaire à celui qu’elle aime, essaie de revêtir la robe trop étroite d’une élégante de Paris, est-ce lui qui viendrait nous dire, après les détails sans nombre d’une description toute physique : « Ses pieds, accoutumés à être nus ou à s’emboîter dans de larges babouches grecques, tordaient le satin des souliers… » Ce défaut, dont je ne fais que toucher quelques traits, est presque continuel désormais chez M. de Lamartine ; il se dessine et reparaît à travers les meilleurs endroits.

920. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Comme nous sommes plus sensibles au mal qu’au bien, nous haïssons beaucoup plus l’un que nous n’aimons l’autre ; et nous souhaitons moins vivement d’être heureux, que nous n’appréhendons d’être misérables ; d’où il arrive que la crainte nous est plus naturelle et nous donne des secousses plus fréquentes que toute autre passion, par le sentiment intime et expérimental qui nous avertit toujours que les maux assiègent de toutes parts la vie humaine. […] Ce qu’il y a de particulier et de surprenant en cette matière, c’est que la poésie corrige la crainte par la crainte, et la pitié par la pitié ; chose d’autant plus agréable que le cœur humain aime ses sentiments et ses faiblesses. […] Toutefois, comme cette ressemblance ne saurait être toujours si parfaite, qu’elle n’admette quelque différence en faveur des beautés de l’art, l’art même, pour ménager ces beautés, peut faire illusion au spectateur, et lui montrer avec succès une action dont la durée exige huit ou dix heures, quoique le spectacle n’en emploie que deux ou trois : c’est que l’impatience du spectateur, qui aime à voir la suite d’une action intéressante, lui aide à se tromper lui-même, et à supposer que le temps nécessaire s’est écoulé, ou que ce qui exigeait un temps considérable s’est pu faire en moins de temps. […] Son adresse consiste à inventer des situations délicates où le père se trouve en compromis avec ses enfants, l’amant avec la personne aimée, l’intérêt avec l’amitié, l’honneur avec l’amour. […] L’intrigue, en un mot, est un dédale, un labyrinthe qui va et revient toujours sur lui-même, où l’on aime à se perdre, d’où l’on cherche pourtant à sortir, mais où l’on rentre avec plaisir quand une fausse issue nous y rejette.

921. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Quand un grand homme a cessé de vivre, quand il est sorti de la phase historique qu’il a marquée de la double empreinte de son esprit et de son caractère, il laisse souvent après lui, et dans l’histoire même, quelques gouttes de son sang : — une famille, que la curiosité aime à étudier pour y retrouver les influences de sa gloire et de son génie ; car ceux qui croient le plus à la personnalité du mérite posent, malgré eux, la question de race à propos de tout, comme si c’était une fatalité ! […] La marquise de Villars disait : « Son amant (à Marie Mancini, la connétable Colonna), ne l’aime point du tout, à ce qu’elle m’a dit. Elle se trouve heureuse cependant qu’il soit comme cela. » Et Renée ajoute un mot qui donnera aux esprits qui sentent, dans le moindre détail de style, toute la manière d’un écrivain : « Elle aimait donc pour aimer, — simplement : elle avait autant de désintéressement qu’elle avait d’imagination, la pauvre femme !  […] Elle n’a eu qu’une page, il est vrai ; mais cette page couvre toute sa vie, et l’histoire n’oubliera pas ces mots charmants : “Vous m’aimez, vous êtes roi, et je pars !” 

/ 3257