Il ne s’agit pas, encore ici, de peindre des Persans, ni des Turcs, ni des Grecs, mais des hommes. […] Boileau n’affranchit jamais, quand il s’agit de poésie, le jugement rationnel de l’esprit de la sensation irraisonnée de l’oreille. […] L’art est une simplification de la nature, et l’exprime moins qu’il ne la suggère : il ne s’agit pas de mettre une description dans le livre, mais une image dans le cerveau du lecteur, et tel avec deux mots donne une vision plus radieuse qu’un autre avec dix pages. […] Cependant parmi les règles et les observations relatives à l’expression de la nature, qui se rencontrent dans tous les ouvrages de Boileau, qu’il s’agisse de littérature générale, ou d’un genre spécial, ou d’un ouvrage particulier, il se rencontre certaines formules, certains termes qui semblent dénoter une tendance fâcheuse et des partis-pris contestables. […] Il estime que tout peut se dire élégamment et noblement, et qu’il ne s’agit que de trouver le tour : le tour, ce triomphe de l’art d’autrefois, que nous ne connaissons plus guère.
L’idée d’instruire, d’enseigner, d’agir sur la conduite des hommes, de prouver une vérité, n’était plus distincte de l’idée des ouvrages d’esprit. Ecrire était une façon d’agir ; l’éloquence, un instrument de direction. […] Il ne s’agit pas de la réhabilitation de Balzac, quoique Bayle, qui l’appelle « l’une des plus belles plumes de France », la lui ait promise. […] Il s’agit d’un des noms les plus obscurs de l’histoire littéraire, du père Goulu, provincial des feuillants, qui, sous le pseudonyme de Phyllarque, avait attaqué Balzac. […] C’est Euripide disant de Polyxène qu’en tombant sous le couteau elle prit grand soin que sa chute fût honnête, et ajoutant, par l’effet de ce défaut, « qu’elle cacha les parties qu’il faut couvrir aux yeux des hommes. » C’est Balzac disant au roi, après des paroles plus enflées que solides, « qu’il ne faut plus qu’il parle d’agir puissamment, et de ne faire des coups d’Etat qu’avec la reine. » Il se moque de ses ridicules comparaisons : « Il n’y a de reptiles en mon jardin que des melons. » Il blâme le défaut de variété, la stérilité, le retour des mêmes idées et des mêmes mots.
Or, il faut savoir ce qu’on entend généralement par un « artiste » : c’est un être créé uniquement pour produire et non pour penser ; quand il a le malheur de réfléchir avant d’agir, il lui arrive ce qui est arrivé, d’après M. […] Nous ne sommes donc pas complètement wagnériens, mais ici comme dans toutes les questions, il s’agit de plus ou de moins, et nous pouvons dire que ceux qui ne voient en Wagner qu’un artiste inconscient, ceux-là sont aussi peu wagnériens qu’il est possible de l’être. […] Il s’agissait de faire paraître cette droite plus longue que nature. […] Wagner semble avoir pensé que la meilleure manière de se composer un public était de forcer l’attention et de commander la pénétration sensorielle au moyen d’un appareil théâtral capable d’agir sur n’importe quelle organisation ; l’on sait d’ailleurs que le théâtre de Bayreuth a fait plus de conversions que les écrits les plus convaincus. […] Il s’agit de La musique de l’avenir.
Chaque sens a son centre spécial ou sensorium, et chacun est parfaitement indépendant du cerveau, peut agir sans lui et même en son absence. […] Cependant ils peuvent agir l’un sur l’autre. […] On expliquait ces faits en les attribuant à l’imagination, bien ; mais par quelles conditions matérielles l’imagination a-t-elle pu agir sur les viscères ou sur la dent ? […] Lewes répond à cette critique par la distinction suivante : s’il s’agit de reconnaître que la psychologie est une science possible, et de grande valeur ; que l’analyse subjective a été méconnue par Comte, et qu’il a eu le tort de regarder l’observation interne comme un procédé illusoire ; je suis avec M. […] Mais s’il s’agit de reconnaître dans la psychologie une science indépendante, séparée de la biologie, et de lui assigner une place à part dans la hiérarchie des sciences abstraites, alors je suis avec M.
Il nous parle énergiquement et éloquemment en faveur du christianisme ; mais de quel christianisme s’agit-il ? […] Quand il s’agit d’opinions humaines, d’écoles philosophiques, de partis politiques, je comprends très-bien que l’on puisse prendre une moyenne entre des doctrines diverses, que l’on puisse s’entendre sur un minimum d’opinions dans une profession de foi. […] L’hérédité physique des maladies est certainement un fait ; mais ce fait est lui-même une partie du problème qu’il s’agit de résoudre, à savoir, le problème du mal. […] La doctrine de la chute n’explique rien de ce qu’il s’agit d’expliquer ; par exemple, elle n’explique pas une grande partie du mal qui couvre la terre, la douleur chez les animaux, leur appliquera-t-on la doctrine du péché originel, et, pour rappeler le mot de Malebranche, « ont-ils donc mangé du foin défendu ? […] J’admets une justice surhumaine, c’est-à-dire une justice plus juste que la mienne, et qui pèse dans des balances infiniment délicates ce que je ne puis peser que dans des balances grossières, une justice qui se confond avec la miséricorde, et qui ne fait pas payer aux hommes le péché d’être né ; mais quant à cette justice qui punit les innocents pour les coupables et qui déclare coupable celui qui n’a pas encore agi, c’est la vendetta barbare, ce n’est pas la justice des hommes éclairés.