L’historien disparaît aussi dans ce qu’il raconte, et on admire cette force d’impersonnalité gardée au milieu d’un récit qui devrait la faire perdre cent fois à l’écrivain, et appeler, à chaque instant, la virulente éloquence de sa colère. […] Taine a achevé son volume sans vider le sien… Je le répète, ce qu’il faut le plus admirer en lui, c’est qu’il ait eu la force de contenir l’impétuosité de son âme, d’étouffer en lui le feu sacré de l’écrivain, qui ne demandait qu’à s’embraser et à devenir un incendie d’indignation et de furie sainte !
Les bas-reliefs du Parthénon emportés par lord Elgin n’en étaient pas moins des chefs-d’œuvre que l’admiration suivait partout, et il n’y a pas non plus une seule pierre de cet autre Parthénon de La Comédie humaine qu’on ne puisse admirer encore hors de la place où le grand architecte l’incrusta. […] Mais si on admire un grand poète dramatique parce qu’il a la force de s’effacer et de parler à travers le personnage d’un autre, que doit-on penser de Balzac, qui, pendant trente Contes plus longs qu’aucun drame, parle à travers la passion, les manières de voir et la langue vraie du xvie siècle ?
Maintenant surtout que le charme de ses surprises est passé, il est difficile de l’aimer comme on l’admire.
Dans les tentatives plus fortes qu’il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime abord aux caprices et, en quelque sorte, aux brisures de son talent ; mais, jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la séve, bien des jets d’une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit à Tebaldeo, le jeune peintre : « Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterais-je un homme qui ne se flatte pas lui-même ?
Admire-le.