Elle se dérobe à l’absolu de la ligne ; elle sort, pour ainsi dire, du trait où elle était enfermée ; elle s’échappe et rayonne dans un éclair. […] Elle n’arriva à sa pleine et entière autorité, à son empire absolu, que graduellement. […] Tous ceux qui ont parlé d’elle, les Ségur, les Lévis, le prince de Ligne, Mme de Genlis, sont unanimes à lui reconnaître cet empire absolu et sans appel sur tout ce qu’il y avait de distingué dans la jeunesse des deux sexes ; elle contenait les travers, tempérait l’anglomanie, l’excès de familiarité, la rudesse, ne passait rien à personne, ni une mauvaise expression, ni un tutoiement, ni un gros rire ; « la plus petite prétention, la plus légère affectation, un ton, un geste qui n’auraient pas été exactement naturels, étaient sentis et jugés par elle à la dernière rigueur ; la finesse de son esprit, la délicatesse de son goût ne lui laissaient rien échapper » ; attentive à ce qu’il ne passât aucun courant d’air de la mauvaise compagnie dans la bonne, elle retardait, pour tout dire, le règne des clubs et maintenait intacte l’urbanité française, à la veille du jour où tout allait se confondre et s’abîmer.
Royer-Collard n’eut donc, en variant, aucun tort ; sa conduite, dans les deux cas, fut sage ; sa parole seulement reste debout et se dresse à nos veux un peu excessive et absolue dans l’expression, comme c’était la condition et la forme de son talent : nous ne sommes pas assez casuiste pour le lui reprocher. […] Pasquier, de tout temps et en sachant très-bien se passer de théorie absolue, vit toujours plus clair, et nul régime, de tous ceux qu’il a servis, n’eût péri si vite, si on l’avait écouté. […] Il se garda bien de donner dans aucune de ces théories absolues, de ces professions de foi excessives, qui ne servent qu’un jour et qu’une heure, et qui embarrassent dans toute la suite de la vie publique.
Quant au fond, l’Art poétique préjuge une grande question : y a-t-il une beauté, partant un goût absolus ? […] Ainsi s’explique la confiance de Boileau en ses « règles » ; elles définissent la perfection absolue, universelle, nécessaire, celle où doivent tendre toutes les œuvres qu’on fera, et d’après laquelle on doit juger toutes les œuvres qu’on a faites. […] La raison fait donc la beauté : donc encore, la beauté sera quelque chose d’absolu, de constant, d’universel ; car ce sont là les trois caractères par lesquels les choses satisfont à la raison.
Il se pouvait dire, comme Mallarmé, « incompétent en autre chose que l’Absolu ». […] Relisez ses articles dans la collection déjà précieuse du fameux canard, vous dégageant, bien entendu, de tous préjugés, de par la Presse hostile lue, ou des plaisanteries trop faciles, écoutées ; relisez surtout le récent pamphlet, et vous resterez persuadés comme moi, non seulement de la conviction si profonde et si courageuse, mais encore et surtout, de l’absolu bon sens absolument triomphal, envers et contre tout et tous, du polémiste comme du théoricien. […] Nous hésitions, l’âme en peine, ne sachant quelle figure investir du rayonnement de l’Absolu, lorsque l’un de nous découvrit à propos le néphélibate Mitrophane Crapoussin « dont le chant de cygne perspicace, affamé du non-être, sur l’étang des Luxures, lamentait le lotus aboli ».
Et si l’on remarque, d’autre part, qu’une semblable complexité mentale, — outre qu’elle suppose que l’on est relatif par tempérament et absolu par éducation, très perspicace et d’autant moins éclairé ; que l’on n’échappe à la torture de l’idée que par le renoncement ; qu’en d’autres termes, l’on n’a au cœur rien de proprement viril, nous ne disons pas d’humain, ni la force d’être sceptique avec décision, ni le pouvoir de se passionner avec constance, — entraîne, pour l’alimentation vitale de l’esprit, la nécessité d’une transposition indéfinie de la perspective, l’on achèvera de comprendre que M. […] À ce souci, en même temps que son imagination s’est vue contrainte de rendre le sceptre, il a dû ramener tout un système de faits, non sans que bien des formes consacrées s’en modifiassent, qui n’y avaient peut-être pas un absolu avantage. […] Et il aura observé en même temps qu’une pensée se cache derrière l’œuvre de notre écrivain, — inflexible et cruelle comme le sens de la vie aux yeux d’un déshérité, inquiétante comme l’hypocrisie d’un jour désespérément égal, — la pensée de ce que nous signifions dans l’absolu.