Comme une vague qui grossit, s’enfle, soulève toute la mer, puis s’abaisse et décroît insensiblement jusqu’à s’aplanir sans laisser de traces, on vit l’esprit analytique, positif et critique, s’élever sous Voltaire, monter au comble sous les encyclopédistes, puis s’atténuer et s’effacer. […] Les horribles substantifs allemands, les mots longs d’une toise, noyèrent la prose nette de d’Alembert et de Voltaire, et il sembla que Berlin émigré fût tombé de tout son poids sur Paris. […] Elle est notre contemporaine ; au temps de Voltaire, on l’entrevoyait à peine ; au temps de Bossuet, elle n’était pas. […] L’analyse systématique et universelle, inconnue à Voltaire, a changé la foule éparse des événements en un corps de lois fixes, et M. […] Cousin, un des premiers, s’est réformé, et emploie la langue de Descartes, qui ramènera peut-être la langue de Voltaire.
Voltaire, qui riait de tout, et de quel rire ! […] Rabelais, Regnard, Voltaire, Beaumarchais, ce n’est pas de cette lignée d’esprits que descend l’auteur des Français de la décadence ; mais s’il n’est pas leur descendant, s’il est apparenté à d’autres, il est cependant trop du même pays pour ne pas savoir quelle force la plaisanterie donne à la pensée et quelle fortune c’est pour un homme que de la manier avec supériorité. […] l’esprit de Voltaire lui-même, l’homme pourtant le mieux organisé pour elle, avec son activité aux cent plumes, ne pourrait pas y résister.
Ne serait-il plus le Dieu commode, l’horloger de Voltaire ? […] » Et Joseph de Maistre remarquerait avec raison que cette théorie de « l’honnêteté littéraire » n’est, après tout, qu’un vers de Voltaire délayé, pour faire quelques idées, dans l’écritoire de Μ. […] Il n’est jamais de mal en bonne compagnie, a dit Voltaire, dans un conte peu honnête, avec cette fascinante légèreté qui fait passer pour spirituels les plus grands sophismes et les plus grandes bêtises de cet esprit pervers et dépravant ; car ce vers, si joli et si souvent cité, a le double caractère de l’erreur complète : il est à la fois bête et faux.
Ne me citez donc plus Voltaire ni Racine. […] Voltaire s’est permis de le trouver parfait. […] Voltaire vainement nous répète vingt fois Que, sur ses douze chants, on peut en lire trois ; Que le reste est absurde et plein d’extravagances, Grossier, bizarre, obscur, chargé d’invraisemblances ; C’est par là qu’il nous plaît \ l’ombre sert aux tableaux ; Verrait-on ses beautés, s’il n’avait des défauts ?
Le précurseur de Voltaire pressentait-il, dans ce château depuis si célèbre, l’influence contraire du génie futur du lieu ? […] Le mot vif, qui chez Bayle ne se fait jamais longtemps attendre, rachète de reste cette phrase longue que Voltaire reprochait aux jansénistes, qu’avait en effet le grand Arnauld, mais que le Père Maimbourg n’avait pas moins. […] De plus, quand on a un art à soi, une poésie, comme Voltaire, par exemple, qui certes est aussi un grand esprit critique, le plus grand, à coup sûr, depuis Bayle, on a un goût décidé, qui, quelque souple qu’il soit, atteint vite ses restrictions. […] Voltaire avait de plus son fanatisme philosophique, sa passion, qui faussait sa critique. […] Vous aurez peut-être peine à croire Qu’on ait dans un repas de tels discours tenus : On tint ces discours ; on fit plus, On fut au sermon après boire… Et cet autre jugement aussi, de Voltaire, n’est pas indifférent à rappeler ; Voltaire a très-bien parlé de Bayle en maint endroit, mais jamais mieux qu’à la fin d’une lettre au Père Tournemine (1735) : « M.