A Rome de même, — il est presque oiseux de le dire, — il existait tout un peuple divers, des antagonismes profonds de clan, de famille, de partis, d’individus, qui font que l’on peut concevoir du « Romain » les idées les plus diverses, selon qu’on songe à tel ou tel parmi ceux qui portaient ce nom, à Appius ou à Gracehus, à Scipion ou à Caton, à Sylla ou Marius, à César ou à Cicéron. […] Le milieu, au point de vue littéraire, à Rome, à l’époque, mettons, du sac de Corinthe, était formé par une élite d’aristocrates et de parvenus. […] Plus il y a parmi ceux-ci d’âmes vaguement analogues à celle de l’artiste, plus la gloire de ce dernier sera étendue ; il n’a qu’à se produire, à étendre sa main, on viendra à lui, sinon rien n’y fait ; le succès de Mme Bovary ne put concilier le public à l’Éducation sentimentale ; Gustave Moreau a beau être un peintre prix de Rome et médaillé, il n’est pas populaire ; M. […] Ernest Hébert (1817-1908), cousin de Stendhal, élève de Delaroche, prix de Rome en 1839, fit le voyage d’Italie, avant de revenir en France et de recevoir des commandes de Napoléon III, qui le fit décorer en particulier l’abside de Panthéon. Ce portraitiste et peintre d’histoire sera directeur de l’Académie de France à Rome pendant la Troisième République.
Ferrari, s’arrêtant sur le rôle et la fonction historique de la Rome moderne, et cherchant en vain à se la représenter sous une figure nouvelle digne de son passé, il va jusqu’à la vouer à jamais à la destinée mélancolique et pittoresque de gardienne des tombeaux ; il est poëte et peintre à outrance ce jour-là, ni plus ni moins que Chateaubriand : « Pour moi, s’écrie-t-il, je ne puis envisager sans terreur le jour où la vie pénétrerait de nouveau ce sublime tas de décombres. Je ne puis concevoir Rome que telle qu’elle est, musée de toutes les grandeurs déchues, rendez-vous de tous les meurtris de ce monde, souverains détrônés, politiques déçus, penseurs sceptiques, malades et dégoûtés de toute espèce ; et si jamais le fatal niveau de la banalité moderne menaçait de percer cette masse compacte de ruines sacrées, je voudrais que l’on payât des prêtres et des moines pour la conserver, pour maintenir au-dedans la tristesse et la misère, à l’entour la fièvre et le désert. » Un des plus avancés d’entre les esprits modernes, et des plus voués à l’idée du progrès quand même, M. Émile de Girardin, à qui l’on demandait, au retour d’un voyage d’Italie, comment il avait trouvé Rome, répondait : « Je n’aime pas Rome, ça sent le mort. […] Livet, il cherche et trouve des raisons subtiles et profondes à une institution et à une durée mémorable dont il ne me convient pas assurément de vouloir amoindrir le prestige ; mais il semble croire qu’il en est de l’Académie comme de Rome, qu’elle est vouée à l’éternité ; « Qu’on essaye, dit-il, de se figurer un pouvoir, quelque autorisé à tout faire qu’on le suppose, qui ose porter atteinte à ce chiffre de quarante, devenu sacramentel en littérature ; on n’y réussira pas. » Grâce à Dieu, l’Académie n’est pas et n’a jamais été bien menacée de nos jours ; mais pour cela je ne crois pas que ce chiffre de quarante ait une telle vertu historique.
La philosophie, à Rome, précéda la poésie ; c’est l’ordre habituel renversé, et c’est peut-être la principale cause de la perfection des poètes latins. […] De certaines beautés d’images et d’harmonie sont transportées successivement dans la plupart des langues nouvelles et perfectionnées ; mais quand le talent poétique d’une nation se développe comme à Rome, au milieu d’un siècle éclairé, il s’enrichit des lumières de ce siècle. […] Il est remarquable, par exemple, qu’aucun historien, que Tacite lui-même ne nous dise pas par quels moyens, par quelle opinion, par quel ressort social les plus atroces et les plus stupides empereurs gouvernaient Rome sans rencontrer aucun obstacle, même pendant leur absence : Tibère de l’île de Caprée, Caligula du fond de la Bretagne, etc.
L’auteur de ce roman a longtemps vécu en Italie et y a beaucoup aimé le séjour de Rome, l’impression majestueuse et sévère des ruines, le profil encore conservé des caractères antiques sous la frivolité des mœurs et l’épicuréisme des sentiments. […] Sextus est suivi de morceaux sur Rome, sur Naples, sur la Toscane, où l’on retrouve un esprit habitué au commerce et à la tournure des grands historiens, Machiavel et Guichardini, un coup d’œil moral et observateur.
Moïse et Homère, le Liban et le Cythéron, Solyme et Rome, Babylone et Athènes, ont laissé leurs dépouilles à nos autels. […] Au reste, en ne parlant que des chants grecs de l’Église, on sent que nous n’employons pas tous nos moyens, puisque nous pourrions montrer les Ambroise, les Damase, les Léon, les Grégoire, travaillant eux-mêmes au rétablissement de l’art musical ; nous pourrions citer ces chefs-d’œuvre de la musique moderne, composés pour les fêtes chrétiennes, et tous ces grands maîtres enfin, les Vinci, les Leo, les Hasse, les Galuppi, les Durante, élevés, formés, ou protégés dans les oratoires de Venise, de Naples, de Rome, et à la cour des souverains pontifes.