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106. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Junia Calvina, l’amante de Britannicus, sur laquelle le poëte prend soin de nous instruire dans sa préface, et qu’il a tant de peur que nous ne confondions avec Junia Silana, n’étoit point à Rome dans le tems de la mort de Britannicus. […] Telle est l’erreur qu’il fait commettre par Mithridate, en lui faisant dire à ses fils, dans l’exposition de son projet, de passer en Italie et de surprendre Rome. […] Racine, sans craindre d’ôter le merveilleux de l’entreprise de Mithridate, pouvoit bien encore accorder six mois de marche à son armée qui avoit sept cens lieuës à faire pour arriver à Rome. […] Qu’autrefois ce grand homme commença par son pere à triompher de Rome mais Titus Quintus Flaminius, celui à qui parle Nicomede, et qui avoit contraint Annibal d’avoir recours au poison, n’étoit pas le fils de celui qui perdit la bataille de Trasiméne contre Annibal.

107. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Les papes avaient toujours eu l’adresse de leur susciter des embarras dans l’empire, et de leur opposer les rois de France : de sorte que les empereurs, ne venant à Rome que pour punir un pontife, ou imposer des tributs aux villes coupables, revolaient aussitôt en Allemagne pour apaiser les troubles ; et l’Italie leur échappait. Leur malheur fut, dans tous les temps, de ne pas demeurer à Rome : elle serait devenue la capitale de leurs États, et les papes auraient été soumis sous l’œil du maître. […] Après cet événement, il se flattait d’une paix durable, lorsqu’étant allé en ambassade à Rome, les Noirs profitèrent de son absence, mirent à leur tête Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, et, secrètement aidés par Boniface VIII, rentrèrent dans la ville. […] Dans son malheur, il s’attacha aux Gibelins ; et comme en ce moment Henri de Luxembourg était venu se faire couronner à Rome, ce parti avait repris vigueur, et l’Italie était dans l’attente de quelque grande révolution : si bien que Dante conçut le projet de se faire ouvrir par les armes les portes de Florence. […] Si l’Empereur avait montré au Pape, dans leur entrevue à Vienne, cette invitation du poëte italien, je ne vois pas ce que le pontife aurait pu répondre, car Dante connaissait fort bien les droits du Sacerdoce et de l’Empire, et on ne doute point à Rome qu’il n’y ait encore plus de théologie que de poésie dans la Divina Comedia.

108. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Ils ne se soucient ni de paye, ni de butin, ni de récompense ; ils ne songent ni aux fêtes de Rome, ni aux délices d’Italie ; ils ne veulent, ils ne demandent que le général ; ils appréhendent la fin de la guerre, de peur de le perdre à la paix ; ils murmurent contre le sénat qui le rappelle, et ne se peuvent consoler de la victoire qui leur ravit le victorieux. […] L’auteur annonce, au début, qui y reprend ce qui a déjà été dit entre eux, pour en faire un tout avec ce qu’il va ajouter, « La gloire et les triomphes de Rome, lui dit, l’auteur, ne suffisent pas à votre curiosité ; elle me demande quelque chose de plus particulier et de moins connu ; après voir vu les Romains en cérémonie, vous les voudriez voir en conversation et dans la vie commune… Je croyais, en être quitte pour vous avoir choisi des livres et marqué les endroits qui pouvaient satisfaire votre curiosité ; mais vous prétendez que j’ajoute aux livres… La volupté qui monte plus haut que les sens, cette volupté toute chaste et tout innocente, qui agit sur l’âme sans l’altérer, et la remue ou avec tant de douceur qu’elle ne la fait point sortir de sa place, ou avec tant d’adresse qu’elle la met en une meilleure, cette volupté, madame, n’a pas été une passion indigne de vos Romains. […] Les grâces parurent encore sous les empereurs, mais elles parurent seules, car la majesté des paroles se perdit avec la liberté. » L’auteur rapporte les paroles de Cassius à Brutus avant les ides de mars : « Ces paroles, madame, sont les dernières que prononça la république avant de rendre l’âme… C’était le caractère de l’esprit de Rome, citait la langue naturelle de la majesté. » L’auteur finit par des observations sur les monuments qui restent de la conversation et des mœurs privées des Romains ; il exprime ses regrets sur leur rareté. […] « Le premier César avait recueilli avec soin ce qui s’était dit et se disait chaque jour de plus remarquable dans Rome. […] L’auteur y oppose l’amour de la gloire qui, chez les peuples anciens, à Rome surtout, payait les plus grands services ; il s’exalte de nouveau et avec une éloquente chaleur au souvenir de ces grands hommes de la république romaine, dont il sent si bien la dignité.

109. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ; a mieux tiré de grands résultats des plus petits événements ; a mieux fait à chaque ligne, dans l’histoire d’un homme, l’histoire de l’esprit humain et de tous les siècles ; a mieux surpris la bassesse qui se cache et s’enveloppe ; a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l’âme se dissimule ; a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l’assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires ; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécile dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien, les crimes de la domination et ceux de l’esclavage, la fierté qui sert d’un côté pour commander de l’autre, la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie, le caractère et l’esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l’instinct féroce et avide du soldat, l’instinct tumultueux et faible de la multitude, et dans Rome la stupidité d’un grand peuple à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu’on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu’il aurait foulé aux pieds si un autre eût vaincu ? […] Sa pompe funèbre, ajoute-t-il, a honoré le prince, son siècle, Rome et la tribune romaine ; et il n’a rien manqué au bonheur de sa vie, car il a été loué après sa mort par le plus éloquent des hommes43. » Un tel éloge, prononcé par Tacite, devait être intéressant ; mais nous ne l’avons plus : heureusement il nous reste de lui le chef-d’œuvre et le modèle de tous les éloges historiques, c’est sa vie d’Agricola. […] Les recherches des délateurs nous ont ôté jusqu’à la liberté de parler et d’entendre, et nous eussions perdu le souvenir même avec la voix, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire44. » Il se représente ensuite, au sortir du règne de Domitien, comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres, et, pour ainsi dire, à lui-même, privé de quinze ans de sa vie, qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence, mais voulant du moins employer les restes d’un talent faible et d’une voix presque éteinte, à transmettre à la postérité et l’esclavage passé, et la félicité présente de Rome. […] L’orateur (car Tacite l’est dans ce moment) félicite Agricola de sa mort ; il n’a point vu les derniers crimes du tyran, il n’a point vu ces temps où Domitien, las de verser le sang goutte à goutte, frappa, pour ainsi dire, la république et Rome d’un seul coup, lorsque le sénat se vit entouré d’assassins, quand le tyran lui-même, spectateur des meurtres qu’il ordonnait, jouissait de la pâleur des mourants, et calculait, au milieu des bourreaux, les soupirs et les plaintes. « Tu as été heureux, lui dit-il ; mais ta fille et moi, qui nous consolera d’avoir perdu un père ?

110. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

Corollaire relatif à la sagesse politique des anciens Romains Ici se présente une question à laquelle il semble bien difficile de répondre : lorsque Rome était encore peu avancée dans la civilisation, ses citoyens passaient pour de sages politiques ; et dans le siècle le plus éclairé de l’empire, Ulpien se plaint qu’ un petit nombre d’hommes expérimentés possèdent la science du gouvernement . […] Faute d’avoir compris cette vérité, les jurisconsultes et les interprètes du droit sont tombés dans la même erreur que les historiens de Rome, qui nous racontent que telles lois ont été faites à telle époque, sans remarquer les rapports qu’elles devaient avoir avec les différents états par lesquels passa la république. […] Ainsi le peuple de Rome ne souffrit plus le droit caché, jus latens dont parle Pomponius ; et voulut avoir des lois écrites sur des tables, lorsque les caractères vulgaires eurent été apportés de Grèce à Rome.

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