/ 904
557. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Et c’était moins encore à Béranger personnellement qu’il s’en prenait ce jour-là qu’à la veine de l’esprit français qu’on vient de voir, à cette littérature, « essentiellement roturière, narquoise, spirituelle », qu’il avait déjà qualifiée d’immorale à propos de la farce de Patelin et qu’il n’accepte pas même dans les masques grimaçants, si chauds et colorés, de notre grand Molière ; il faisait le procès à cet esprit de goguette et de malice du bon vieux temps, un peu frelaté et sophistiqué du nôtre, mais survivant encore, et qui n’est jamais près de finir ; au bon sens grivois qui profane tout, qui réduit tout à sa moindre valeur, et qui ne se sauve de tous les fanatismes, de tous les doctrinarismes comme de toutes les préciosités, qu’aux dépens du respect et de l’idéal, et en préconisant la bonne loi naturelle, comprise en trois mots, le vin, les femmes et la chanson.

558. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Molière, sans songer précisément à la politique, en avait sans doute tiré des jours profonds pour la peinture morale de l’espèce, pour sa comédie dont le rire inextinguible ne saurait faire oublier les sanglantes morsures et les perpétuelles insultes à la guenille humaine.

559. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Dans le genre de la Farce et de la Comédie, ç’a été bien différent : Molière avec ses chefs-d’œuvre, au moins avec quelques-unes de ses pièces les plus gaies, est au bout de la comédie même du moyen âge et du xve  siècle : en attendant le grand homme et la grande comédie, la petite pièce a des récréations charmantes à offrir chemin faisant, presque à toutes les étapes.

560. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Molière a la verve, le démon : Térence n’a pas le démon ; il a ce que les Anglais appellent le feeling, mêlé et fondu dans le comique.

561. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Quand la société s’est compliquée, que les mœurs se sont effacées à force de se polir, que le goût usé se blase de chefs-d’œuvre, il faut cependant faire quelque chose, ou répéter dans une suite de contre-épreuves, de plus en plus pâles, les types classiques… Si Marivaux n’avait pas les défauts que l’on critique en lui et qui ne sont, à vrai dire, que des qualités poussées à l’excès, il se perdrait obscurément parmi la foule obscure des plats imitateurs de Molière.

/ 904