Plus tard, nous le croyons, lorsque plusieurs autres parties de ce livre auront été publiées, on apercevra le lien qui, dans la conception de l’auteur, rattache la Légende des Siècles à deux autres poëmes, presque terminés à cette heure, et qui en sont, l’un le dénouement, l’autre le couronnement : la Fin de Satan, et Dieu. L’auteur, du reste, pour compléter ce qu’il a dit plus haut, ne voit aucune difficulté à faire entrevoir dès à présent qu’il a esquissé dans la solitude une sorte de poëme d’une certaine étendue où se réverbère le problème unique, l’Être, sous sa triple face : l’Humanité, le Mal, l’Infini ; le progressif, le relatif, l’absolu ; en ce qu’on pourrait appeler trois chants, la Légende des Siècles, la Fin de Satan, Dieu. […] L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l’autre ; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poëme dans son ensemble ; si Dieu, maître des existences humaines, y consent.
Voilà la montagne où notre mère nous menait prier Dieu au coucher du soleil ! […] Nous priâmes Dieu comme à la maison, moi avec Mathilde, la petite Marie avec notre mère. […] — Oh Dieu ! […] Dieu est bon ! […] Elles préférèrent le salon de Dieu, et après quelques difficultés elles ne purent refuser.
S’ils avaient pu faire du mal à Dieu, ils l’auraient fait. […] Et, en effet, les dîners contre Dieu, c’est encore une invention du xixe siècle ! On dîne maintenant contre Dieu, comme, du temps des banquets de la Réforme, on dînait contre les gouvernements. […] » Eh bien, de tous les gaillards, assez peu gaillards, qui dînent contre Dieu chez Magny, il n’y en a peut-être pas un seul qui soit un gourmand ! […] Il s’agit de jouer contre Dieu de la mâchoire, comme Samson en joua contre le Philistin, fût-ce sans la vigueur de Samson.
Dieu nous l’avait donné aux confins de deux siècles, l’un corrompu par l’infidélité, l’autre qui devait essayer de se reprendre aux choses divines, et sa muse avait reçu le même jour, pour mieux nous charmer, la langue d’Orphée et celle de David. » Certes, on ne saurait mieux ni plus magnifiquement parler de Chateaubriand, et dans une langue même qui le rappelle et qui rivalise avec lui. […] Quand M. de Rancé se convertit à Dieu, il vendit ses chevaux, ses voitures, quitta les habits magnifiques qu’il avait coutume de porter, et il enveloppa de deuil un corps qu’il avait longtemps consacré au péché. […] Il est raconté dans la vie d’un de nos Bienheureux qu’un jour il parcourait une ville à cheval avec ses amis : Dieu, qui le voulait avoir, le jeta par terre dans la boue, et ce fut l’occasion de son salut et de sa sainteté. […] Jésus-Christ a changé le monde par l’Évangile ; quiconque n’écrit pas dans le sens de l’Évangile est l’ennemi de Dieu et des hommes, bien plus que la créature faible qui succombe à ses passions. […] Il est rapporté dans la Vie de saint Jérôme qu’il fut battu de verges par un Ange, qui lui reprochait, en le frappant, de lire avec plus d’ardeur Cicéron que l’Évangile : combien plus vos lectures mériteraient-elles ce châtiment, si Dieu nous témoignait toujours, dès cette vie, ce qu’il pense de nos actions ?
Quiconque aspirait à une grande action sur le peuple devait imiter Élie, et comme la vie solitaire avait été le trait essentiel de ce prophète, on s’habitua à envisager « l’homme de Dieu » comme un ermite. […] La croyance à ces résurrections était fort répandue 297 ; on pensait que Dieu allait susciter de leurs tombeaux quelques-uns des anciens prophètes pour servir de guides à Israël vers sa destinée finale 298. […] Nul doute qu’il ne fût possédé au plus haut degré de l’espérance messianique, et que son action principale ne fût en ce sens. « Faites pénitence, disait-il, car le royaume de Dieu approche 302. » Il annonçait une « grande colère », c’est-à-dire de terribles catastrophes qui allaient venir 303, et déclarait que la cognée était déjà à la racine de l’arbre, que l’arbre serait bientôt jeté au feu. […] Il réduisait à rien le titre de fils d’Abraham, et disait que Dieu pourrait faire des fils d’Abraham avec les pierres du chemin 306. […] Le pauvre apparaît déjà comme celui qui doit bénéficier en première ligne du royaume de Dieu.