Maine de Biran se plut toute sa vie à embellir cet héritage paternel et à en faire une de ses créations ; mais, à l’époque dont nous parlons, il ne pensait d’abord qu’à s’y recueillir un peu. […] Je me promenais seul, quelques moments avant le coucher du soleil ; le temps était très beau ; la fraîcheur des objets, le charme qu’offre leur ensemble dans cette brillante époque du printemps qui se fait si bien sentir à l’âme, mais qu’on affaiblit toujours en cherchant à la décrire ; tout ce qui frappait mes sens portait à mon cœur je ne sais quoi de doux et de triste ; les larmes étaient au bord de mes paupières. […] Les diverses époques ne cessent d’y empiéter les unes sur les autres. […] Maine de Biran n’a pas de ces vigoureuses expressions de pensée qui se gravent, mais il a et il rend bien, à force d’y revenir et d’y abonder, la plénitude de son objet : À en juger par ce que j’éprouve, dit-il en un de ces endroits essentiels, et ne considérant que le fait psychologique seulement, il me semble qu’il y a en moi un sens supérieur et comme une face de mon âme qui se tourne par moments (et plus souvent en certaine temps, à certaines époques de l’année) vers un ordre de choses ou d’idées, supérieures à tout ce qui est relatif à la vie vulgaire, à tout ce qui tient aux intérêts de ce monde et occupe exclusivement les hommes.
Si, au sortir de quelque naturel et vivant ouvrage de cette époque, aussitôt après les Mémoires du cardinal de Retz par exemple, on lit du Pellisson, on comprendra bien ce que je veux dire. […] S’il avait moins de goût que les grands hommes de la Grèce et de Rome que nous venons de citer, cela tenait aux inconvénients de son époque, de son éducation, et à un vice aussi de son esprit, atteint d’une sorte de pédantisme : mais s’il péchait dans le détail, il ne se trompait pas dans sa vue publique de la littérature et dans l’institution qu’il en prétendait faire pour le service et l’agrément de tous. […] Paul Mesnard, dans une Histoire de l’Académie 44 qui n’a que le défaut d’être un peu abrégée, a fort bien touché ces époques et ces divisions d’ensemble. […] La plus triste époque de l’Académie au xviiie siècle fut celle des secrétaires perpétuels insignifiants, Dacier, Du Bos, Houtteville, Mirabaud.
Si l’on cherche la raison de cet oubli bizarre, de cette inadvertance ironique de la renommée, on la trouvera en partie dans le caractère des débuts de M. de Sénancour, dans cette pensée trop continue à celle du xviiie siècle, quand tout poussait à une brusque réaction, dans ce style trop franc, trop réel, d’un pittoresque simple et prématuré, à une époque encore académique de descriptions et de périphrases ; de sorte que, pour le fond comme pour la forme, la mode et lui ne se rencontrèrent jamais ; — on la trouvera dans la censure impériale qui étouffa dès lors sa parole indépendante et suspecte d’idéologie, dans l’absence d’un public jeune, viril, enthousiaste ; ce public était occupé sur les champs de bataille, et, en fait de jeunesse, il n’y avait que les valétudinaires réformés, ou les fils de famille à quatre remplaçants, qui vécussent de régime littéraire. […] L’auteur de cet article a rencontré pour la première fois les deux volumes d’Oberman à une époque où il achevait lui-même d’écrire un ouvrage de rêverie individuelle qui rentre dans l’inspiration générale de son aîné ; il ne saurait rendre quelle étonnante impression il en reçut, et combien furent senties son émotion, sa reconnaissance envers le devancier obscur qui avait si à fond sondé le scepticisme funèbre de la sensibilité et de l’entendement. […] Il est probable qu’à une certaine époque de sa vie le véritable Oberman a essayé réellement de devenir ce solitaire. […] M. de Sénancour n’écrivait, guère encore à cette époque ; il se plaisait plutôt à peindre le paysage dans le sens littéral du mot : en arrivant à un instrument plus général d’expression, il a négligé ce premier talent.
Ce genre de disgrâce, tout nouveau pour lui, le trouva singulièrement vulnérable : « Cette époque de ma vie publique est la seule, nous avoue-t-il, où je n’aie pas été parfaitement moi-même ; une faute m’entraînait dans une autre. » Et il les énumère. […] Barnave, de son côté, repassant dans sa prison les souvenirs de cette époque, a pu dire d’une conjoncture si touchante, « qu’en gravant dans son imagination ce mémorable exemple de l’infortune, elle lui avait servi sans doute à supporter facilement les siennes ». […] Mais il crut peu à l’efficacité de ses paroles ; il quitta Paris avant l’époque indiquée par Mme Campan ; il ne s’y trouvait plus dès les premiers jours de janvier 1792, et il était retourné dans ses foyers. […] Que serait devenu Barnave s’il avait franchi cette époque funeste, s’il avait vécu ?
Les Mémoires de Mme d’Épinay ne sont pas un ouvrage, ils sont une époque. […] Ce fut l’époque des Genlis, de ces femmes galantes ou légères qui deviennent à point nommé des Mentor, des Minerve, et font des traités moraux sur l’éducation pendant les courts intervalles que leur laissent leurs amants. […] Sa Correspondance forme les Annales de la littérature de cette époque en France avec un aperçu de la politique et surtout du train de vie de ce temps. […] Aujourd’hui je n’ai voulu qu’insister sur des mémoires curieux et presque naïfs d’une époque raffinée, sur un monument singulier des mœurs d’un siècle, et aussi rappeler l’attention sur une femme dont on peut dire, à sa louange, que, dans tous ses défauts comme dans ses qualités, elle fut et resta toujours vraiment femme, ce qui devient rare.