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954. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Recréer une émotion au lieu de la décrire, résumerons-nous d’un mot ce qui précède. […] Il décrit subtilement les émotions, il ne les ressuscite pas. […] Sully Prudhomme s’attachera aux émotions raffinées d’un homme bien élevé et de culture profonde, comme auparavant Baudelaire aux « frissons nouveaux » d’une nature indépendante et tourmentée. […] C’est que cette phrase existe du point de vue d’une émotion qui agit, non d’un discours qui prouve. […] Le mot, lui aussi, ne doit avoir qu’une valeur allusive, comme sur une vitre ne poser sur la page blanche qu’une buée d’émotion.

955. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Ni moi non plus, je ne vois de motifs pour rien dans ce monde, et je n’ai de goût pour rien. » Ce qui fait que Benjamin Constant est bien véritablement ce que j’ai appelé un girondin de nature, un inconséquent qui obéit non pas à des principes, mais à des instincts, et qui ne cherchera guère jamais dans les luttes publiques que de plus nobles émotions, c’est qu’il persiste, au milieu de ces dégoûts et de ces anéantissements, à être libéral et démocrate quand il est quelque chose. […] Il passa sa vie à faire de la politique libérale sans estimer les hommes, à professer la religiosité sans pouvoir se donner la foi, à chercher en tout l’émotion sans atteindre à la passion. […] Celle lettre est très-peu connue en France ; elle peint déjà le Benjamin tel qu’il sera un jour, avec sa légèreté, sa mobilité d’émotions, ses instincts de joueur et de moqueur, et aussi avec toute sa grâce. […] Cependant le jeu et l’or que je vois rouler me causent quelque émotion. […] Tout à la fin, il n’avait plus d’émotion que celle de joueur ; sa santé délabrée ne lui permettait plus même de manger ; il disait à M. 

956. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Dans cet esprit qui imite et qui parfois imite mal, qui tâtonne encore et çà et là laisse entrer dans ses stances polies les vieux mots naïfs ou les allégories usées des hérauts d’armes et des trouvères, voici déjà la mélancolie du Nord, l’émotion intime et douloureuse. […] Aussi quand ils se promènent, ils ont d’autres émotions que nous. […] Notre émotion se purifie et s’élève. […] Ils n’ont plus ce trop-plein d’émotions, cette surabondance d’idées et d’images qui forçait l’homme à s’épancher par des paroles, à jouer extérieurement, à miner librement et hardiment le drame intérieur qui faisait tressaillir tout son corps et tout son cœur. […] Nul n’a parlé avec une émotion plus éloquente de la mort, de l’énorme nuit de l’oubli, de l’engloutissement où toute chose sombre, de la vanité humaine, qui, avec de la gloire ou des pierres sculptées, essaye de se fabriquer une immortalité éphémère.

957. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

À certains moments critiques de l’histoire, des hommes, sortant de leur petite vie étroite et routinière, ont saisi par une vue d’ensemble l’univers infini ; la face auguste de la nature éternelle s’est dévoilée tout d’un coup ; dans leur émotion sublime, il leur a semblé qu’ils apercevaient son principe ; du moins ils en ont aperçu quelques traits. […] Cette idée, Rousseau l’a tirée tout entière du spectacle de son propre cœur410 : homme étrange, original et supérieur, mais qui, dès l’enfance, portait en soi un germe de folie et qui à la fin devint fou tout à fait ; esprit admirable et mal équilibré, en qui les sensations, les émotions et les images étaient trop fortes : à la fois aveugle et perspicace, véritable poète et poète malade, qui, au lieu des choses, voyait ses rêves, vivait dans un roman et mourut sous le cauchemar qu’il s’était forgé ; incapable de se maîtriser et de se conduire, prenant ses résolutions pour des actes, ses velléités pour des résolutions et le rôle qu’il se donnait pour le caractère qu’il croyait avoir ; en tout disproportionné au train courant du monde, s’aheurtant, se blessant, se salissant à toutes les bornes du chemin ; ayant commis des extravagances, des vilenies et des crimes, et néanmoins gardant jusqu’au bout la sensibilité délicate et profonde, l’humanité, l’attendrissement, le don des larmes, la faculté d’aimer, la passion de la justice, le sentiment religieux, l’enthousiasme, comme autant de racines vivaces où fermente toujours la sève généreuse pendant que la tige et les rameaux avortent, se déforment ou se flétrissent sous l’inclémence de l’air.

958. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Herman, soutenu par sa mère et par les voisins, s’avance vers Dorothée et lui dit d’une voix tremblante d’émotion et d’amour : « “Ne regrette pas ces larmes et cette douleur passagère, car elles ont assuré mon bonheur et le tien aussi. […] Un parfum de piété et d’amour sort de tous les vers ; le cœur est doucement ému, mais jouit de son émotion comme d’une vertu.

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