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694. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

La Revue des Deux Mondes et les écrivains qui tiennent à honneur de lui appartenir ont été récemment l’objet de telles attaques violentes et outrageuses, outrageuses et pour ceux qu’on y désignait malignement, et pour ceux qu’on y passait sous silence, en ayant l’air de les ménager, et pour ceux surtout qu’on cherchait à y flatter en se les donnant pour auxiliaires, que c’est un devoir à eux, non pas de se défendre (ils n’en ont pas besoin), mais de témoigner de leurs sentiments, de leurs principes, et de marquer de nouveau leur attitude. Ce n’est pas seulement pour eux un devoir, c’est un plaisir ; car la position de la Revue et des écrivains qui y prennent la plus grande part n’a jamais été plus nette, mieux assise et plus franchement dessinée. […] Si, pour les écrivains qui se respectent, il est, à certains égards, bien pénible de venir même toucher par allusion à ces tristes conflits, quelque chose ici l’emporte, le besoin pour eux de rendre hommage à la vérité et de ne pas laisser s’autoriser par leur silence l’ombre d’un doute sur ce qu’ils pensent, sur ce qu’ils souffrent de tout ce bruit. […] Lorsque, il n’y a pas moins de treize à quatorze ans, au lendemain de la révolution de Juillet, cette Revue comme nça, et qu’elle conçut la pensée de naître, elle dut naturellement s’adresser aux hommes jeunes et déjà en renom, aux écrivains et aux poëtes que lui désignait leur plus ou moins de célébrité.

695. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Les premiers écrivains qui nous sont connus, dirait-on, et en particulier le premier poète, n’ont point été surpassés depuis près de trois mille ans, et souvent même les successeurs des Grecs sont restés bien au-dessous d’eux ; mais cette objection tombe, si l’on n’applique le système de perfectibilité qu’aux progrès des idées, et non aux merveilles de l’imagination. […] Ils écrivaient sans autre modèle que les objets mêmes qu’ils retraçaient ; aucune littérature antécédente ne leur servait de guide ; l’exaltation poétique s’ignorant elle-même, a par cela seul un degré de force et de candeur que l’étude ne peut atteindre, c’est le charme du premier amour ; dès qu’il existe une autre littérature, les écrivains ne peuvent méconnaître en eux-mêmes les sentiments que d’autres ont exprimés ; ils ne sont plus étonnés par rien de ce qu’ils éprouvent ; ils se savent en délire ; ils se jugent enthousiastes ; ils ne peuvent plus croire à une inspiration surnaturelle. […] Par exemple, la théorie d’une langue, celle du grec, suppose une foule de combinaisons abstraites fort au-dessus des connaissances métaphysiques que possédaient les écrivains, qui parlaient cependant cette langue avec tant de charme et de pureté ; mais le langage est l’instrument nécessaire pour acquérir tous les autres développements ; et, par une sorte de prodige, cet instrument existe, sans qu’à la même époque, aucun homme puisse atteindre, dans quelque autre sujet que ce soit, à la puissance d’abstraction qu’exige la composition d’une grammaire ; les auteurs grecs ne doivent point être considérés comme des penseurs aussi profonds que le ferait supposer la métaphysique de leur langue. […] Nos grands écrivains ont mis dans leurs vers les richesses de notre siècle ; mais toutes les formes de la poésie, tout ce qui constitue l’essence de cet art, nous l’empruntons de la littérature antique, parce qu’il est impossible, je le répète, de dépasser une certaine borne dans les arts, même dans le premier de tous, la poésie.

696. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

C’est qu’elle n’offrait plus aux écrivains un idéal absolu, un « canon » de beauté, sur lequel ils devaient « patronner » leurs œuvres : elle était comme le canal qui amenait en leur conscience les résultats, les hypothèses ou les méthodes de l’histoire, de la philosophie, de la science. […] Tout ce qui fait Shakespeare pouvait faire un Shakespeare médiocre aussi bien qu’un Shakespeare puissant : l’écrivain est déterminé, la grandeur de l’écrivain ne l’est pas. […] Dans Tennyson entre en composition l’Anglo-Saxon, dont la formule a été fixée au début de l’ouvrage ; et cette formule s’est retrouvée à chaque siècle comme élément de tous les écrivains.

697. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Il tend à les rendre capables de trouver dans une page ou une œuvre d’un écrivain ce qui y est, tout ce qui y est, rien que ce qui y est. […] Là même où domine l’idée, où la vérité plus que la beauté a été l’objet de l’écrivain, l’impression et l’interprétation personnelle sont à leur place : tout le monde ne voit pas tout ; les œuvres fortes ne se livrent qu’aux forts esprits ; et l’on se propose précisément, par l’exercice dont nous parlons, de former chez les jeunes gens une habitude d’aller au-delà du sens grossier que nul ne manque d’apercevoir, et un art de rassembler — dirai-je de mobiliser   rapidement toutes leurs facultés, pour arracher au texte le plus possible de son secret. […] Mais une page d’un grand écrivain contient d’inépuisables possibilités de pensée ou d’émotion. […] Nous sommes un public pour ces écrivains immortels au même titre que les gens de 1580 ou de 1670 ; et nous avons le même droit d’essayer sur nos consciences, nos sensibilités et nos intelligences, la vertu de leurs œuvres, de les obliger à révéler par les réactions de nos esprits des propriétés nouvelles, que les générations des siècles disparus n’ont pas ou n’ont qu’à peine soupçonnées4.

698. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Ces prières et ces sollicitations que son intérêt mesquine ment consulté lui conseillait peut-être, son devoir de libre écrivain les lui défendait. […] Certes, si nous daignions descendre encore un instant à accepter pour une minute cette fiction ridicule, que dans cette occasion c’est le soin de la morale publique qui émeut nos maîtres, et que, scandalisés de l’état de licence où certains théâtres sont tombés depuis deux ans, ils ont voulu a la fin, poussés à bout, faire, à travers toutes les lois et tous les droits, un exemple sur un ouvrage et sur un écrivain, certes, le choix de l’ouvrage serait singulier, il faut en convenir, mais le choix de l’écrivain ne le serait pas moins. […] C’est un écrivain ainsi placé que, si son talent peut être contesté de tous, son caractère ne l’est de personne.

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