Il ne reste du Bourdaloue que l’écrivain excellent, et fort à étudier ; il reste le plus abondant et peut-être le plus judicieux de nos moralistes. […] Cependant on a, dans ces derniers temps, qualifié cet aimable écrivain de moraliste du premier ordre. […] Il faut réserver le titre de critique à celui qui nous avertit, non de ce qu’il nous est loisible, mais de ce qu’il nous est périlleux d’écrire, et qui nous enseigne les devoirs de l’écrivain et les droits du lecteur. […] Nous cherchons pourquoi nos grands moralistes sont grands écrivains. […] Vauvenargues devait à Voltaire ces premiers encouragements qui versent dans le cœur du jeune écrivain la confiance, l’espoir, la patience, et qui, pour quelques-uns, ont été plus d’une fois le pain de la journée.
En 1829, il n’était qu’un obscur écrivain qui se détirait à grand’peine de son limon originel. […] « Ce n’est pas le non-savoir qui perd les peuples, c’est le mal-savoir », a dit un écrivain qui savait mieux que personne. […] L’écrivain se modifia, se varia sans changer. […] Audin nous aurait donné le chiffre exact de cette contestable valeur… Augmentée par les protestants, à qui les écrivains catholiques ont laissé tout dire, comme les rois (Louis XIV excepté) ont laissé tout faire, Elisabeth est la vivante preuve du peu qu’il faut, à certains moments, pour mener les peuples. […] La plupart des écrivains célèbres de cette époque débordée qui ont l’orgueil de leurs haillons comme Antisthène, et qui les retournent pour les montrer mieux, marchent effrontément à la postérité avec leur cortège de passions, de douleurs et de fautes ; mais les passions et les chagrins d’Audin, — s’il en eut jamais, — furent un secret comme ses vertus et ses combats.
J’y reviendrai après avoir expliqué à ma manière ce qu’on peut entendre par Henri IV écrivain. Il y a longtemps que si les hommes écrivaient aussi bien qu’ils parlent, ou que si l’on écrivait pour eux ce qu’ils disent dans les circonstances décisives où ils se trouvent, il y aurait quantité d’écrivains qui n’en seraient que plus mémorables pour ne pas être du métier : mais, parmi ceux qui ont songé à écrire ou à dicter après coup ce qu’ils avaient dit ou ce qu’ils avaient fait, la plupart ont perdu, en se mettant dans cette position et comme dans cette attitude nouvelle, une partie de leurs facultés, de leurs ressources ; s’imaginant que c’était une grande affaire qu’ils entreprenaient, et préoccupés de leur effort, ils ont laissé fuir mille détails qui animent et qui donnent du charme ; ils se sont ressouvenus froidement, ou du moins incomplètement ; on n’a eu que l’ombre de leur action ou de leur verve première. […] Aux époques cultivées, où les hommes d’État et de guerre sont instruits aux lettres et ont aisément la plume à la mainp, un autre écueil tout opposé, c’est qu’ils fassent trop les écrivains en se ressouvenant, et qu’ils ajoutent par la phrase aux circonstances de l’action. […] Le nom d’écrivains proprement dits continue d’appartenir à ceux qui de propos délibéré choisissent un sujet, s’y appliquent avec art, savent exprimer même ce qu’ils n’ont pas vu, ce qu’ils conçoivent seulement ou ce qu’ils étudient, se mettent à la place des autres et en revêtent le rôle, font de leur plume et de leur talent ce qu’ils veulent : heureux s’ils n’en veulent faire que ce qui est le mieux et s’ils ne perdent pas de vue ce beau mot digne des temps de Pope ou d’Horace : « Le chef-d’œuvre de la nature est de bien écrire. » Les autres, les hommes d’action, qui traitent de leurs affaires, ne sont écrivains que d’occasion et par nécessité ; ils écrivent comme ils peuvent et comme cela leur vient ; ils ont leurs bonnes fortunes.
Sérieusement, il me semble que les différentes positions qui sont à prendre dans la presse périodique et qui peuvent tenter des publicistes dignes de ce nom, commencent à être toutes occupées, et à l’être comme il convient, par des écrivains de réputation et de talent, lesquels, s’ils ne disent pas tout ce qu’ils voudraient, le font du moins très-bien entendre ; et il s’en faut d’assez peu que ce qui est réclamé par la plupart comme un droit ne devienne insensiblement et par usage un fait. […] Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M. […] Pour bien répondre à la question comme je l’entends, il est bon de se reporter un peu aux antécédents de l’écrivain et de parcourir le volume où il vient de recueillir quelques-uns des travaux de ces vingt ou trente dernières années. […] Israël et le Magnificat ; que tout ce qu’il y a de poésie dans le culte chrétien, l’encens, les chasubles brodées d’or, les longues processions avec des fleurs, léchant, le chant surtout aux fêtes solennelles, grave ou lugubre, tendre ou triomphant, l’a vivement exalté ; qu’il a respiré cet air, vécu de cette vie, et que, par conséquent, il a dû pénétrer plus avant dans le sens et l’intelligence de la musique chrétienne que beaucoup de jeunes gens qui, nourris des traditions de collège et ne voyant dans la messe qu’une corvée hebdomadaire, ne se seraient jamais avisés d’aller chercher de l’art et de la poésie dans les cris inhumains d’un chantre à la bouche de travers. » Et plus loin, insistant, sur le caractère propre, à ces chants grandioses ou tendres, et qu’il importe de leur conserver sans les travestir par trop de mondanité ou d’élégance, devançant ce que MM. d’Ortigue et Félix Clément ont depuis plaidé et victorieusement démontré, il dira (qu’on me pardonne la longueur de la citation, mais, lorsque je parle d’un écrivain, j’aime toujours à le montrer à son heure de talent la plus éclairée, la plus favorable, et, s’il se peut, sous le rayon) : « J’ai dit tout à l’heure, en parlant du Dies iræ, que je ne connaissais rien de plus beau ; j’ai besoin d’y revenir et de m’expliquer. […] Scherer ; hier M. de Rémusat, dans une Revue, adressait aux écrivains, pour leur réchauffer le cœur, d’éloquents conseils tous puisés dans ce même ordre de convictions ardentes ; Tocqueville en était imbu et pénétré, toute sa parole en vibrait.
Elle se distingue de l’observation directe par la même nuance qui sépare l’Érudition de la Science ; c’est-à-dire que l’une est aisément acquise, commodément étendue, se diffuse et s’évague au gré des relations professionnelles de « l’érudit écrivain », reste fonction de sa bibliothèque et de sa mémoire aidée d’un nombre imposant de fiches. […] L’usage dominant de l’une ou de l’autre méthode chez tel écrivain peut d’ailleurs s’évaluer en chiffres concrets. […] Un écrivain est maître des Faits. […] Hector Malot, en revanche, ne peut invoquer aucun alibi littéraire, ni tenter d’excuser la faiblesse de ses conceptions scientifiques en se retranchant derrière des qualités d’écrivain qui ne s’imposent réellement pas. […] M. le Dr Féré (Pathologie des émotions, préface) a retrouvé d’ailleurs la filiation bibliographique de cet épisode, il fut signalé au célèbre écrivain par le Dr Liouville qui lui même l’avait découvert dans une note déjà très ancienne de la Gazette des Hôpitaux.