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559. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

C’était le seul bruit qu’on entendît sortir de sa demeure à travers les silencieux ombrages de l’Anjou. […] J’abandonne pour toujours le service du lâche prince qui nous a trahis. » XIII Stello avait paru ; quelque chose qui rappelait Sterne, inconséquent, décousu, fragmentaire, doux, fort, sensible, ému et plaisant tour à tour ; livre multicolore où perçait la philosophie stoïque à travers la raillerie gauloise. […] Il se décide vite, marche droit à la flamme, et tente courageusement de se frayer une route à travers les charbons ; mais la douleur est excessive, il se retire. […] Au fond, une grande porte vitrée : à travers les petits carreaux on aperçoit une riche boutique ; un grand escalier tournant conduit à plusieurs portes étroites et sombres, parmi lesquelles se trouve la porte de la petite chambre de Chatterton. […] Tandis que le Quaker s’achemine vers l’escalier, Kitty Bell cherche à voir, à travers les portes vitrées, s’il n’y a personne qui puisse donner du secours ; puis, ne voyant rien, elle suit le Quaker avec terreur, en écoutant le bruit de la chambre de Chatterton.

560. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Un épais rideau de nuages s’étendait à l’horizon, et de longs éclairs s’y dessinaient encore par moments ; mais au-dessus de nous le ciel était d’un bleu sombre et de rares étoiles scintillaient à travers des nuages pluvieux qui fuyaient. […] Le temps était beau quoiqu’on fût déjà en plein automne ; un ciel pâle, mais limpide se montrait gaiement à travers les branches d’une rangée de tilleuls entièrement dépouillés de verdure, qui avaient encore gardé ça et là quelques dernières feuilles d’un jaune vif que le vent agitait par moment. […] Mais la chaleur était encore excessive ; elle semblait avoir embrasé l’atmosphère, et on croyait distinguer à travers une poussière fine et noirâtre des milliers de petits points lumineux qui se détachaient en tournoyant sur l’azur foncé du ciel. […] Lorsque je me réveillai, il faisait déjà nuit ; la rosée qui tombait avait mouillé le foin, et il répandait une odeur assez forte ; quelques étoiles brillaient faiblement à travers les branches du toit sous lequel je reposais. […] une rivière qui coule en serpentant sur une étendue de dix verstes au moins bleuit à travers le brouillard ; de vertes prairies en bordent le cours ; derrière sont des monticules, et dans le lointain des vanneaux tournoient en criant au-dessus d’un marais.

561. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Je n’entreprendrai pas ici l’examen de la fameuse formule renouvelée de Bacon et de Diderot : « Une œuvre d’art, c’est un coin de la nature vu à travers un tempérament. » Ce que je voudrais dire, c’est sa croyance en l’unité de la substance et de l’origine, qui lui conféra le don de l’Harmonie. […] C’est, tout à coup, la mouvante cellule animale naissant de la pourriture végétale, du sang déliquescent et corrompu, sans doute, de quelque rose préhistorique, C’est la longue genèse, à travers la faune terrestre, après de successives métamorphoses, c’est la longue genèse de l’Ève humaine, de la perfectible et triomphale créature que les religions devaient diviniser plus tard, sous les traits adorables de Vénus et de Marie. […] Ainsi Émile Verhaeren, notre Hugo, dans ses visions magnifiques et tragiques, où se mêlent encore assez d’« échos intérieurs » pour faire de ses poèmes les plus complètes expressions de paysages vus à travers un état d’âme, — et d’états d’âme vus à travers un paysage. […] De tous ses livres, de ce poème tragique de l’Œuvre à l’épopée rouge et noire de Germinal, des pages du Bonheur des Dames aux pourritures d’or et de chair de Nana, aux légendes héroïques de la Débâcle ; de tous ces livres monte un râle, et ce râle persiste même à travers la joie saine de ce qui va naître de l’incessante mort. […] Mais, voyez-vous, mon cher critique, on l’a dit excellemment, — et c’est la sagesse des poètes qui l’affirme : Il n’y a que de beaux vers et de mauvais vers, — il n’y a que de bons et de mauvais écrivains que l’on reconnaît à leur don d’exprimer la vie, créée en eux, reflétée, ou vue simplement à travers leur tempérament particulier, — car les idées évoluant selon l’ombre ou la lumière des âges sont communes à tous les hommes, et le génie se révèle par l’empreinte qu’il laisse au front des mots choisis pour les formuler !

562. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

À travers la figure il a une grande éraflure. […] Elle était, après mon déjeuner et mon dîner, le décor entrevu à travers le nuage de ma pipe. […] Son mari est un grand propriétaire terrien, qui depuis des années nous promène, avec toutes sortes de complaisances et de la bonne gaîté, à travers ses bois, ses champs, ses fermes. […] 24 novembre À travers l’eau des ornières, la terre grasse, les mottes molles, les prés détrempés et gluants, nous sommes arrivés à La Bécassière. […] Nous regardons le vide à travers ces fenêtres sans rideaux, battues d’une moitié de persienne, et nous pensons à tout ce que cette maison a eu des mauvaises chances de la vie du grand artiste, de ses tristesses, des absorptions de sa maladie.

563. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Il me semblait me promener dans un ciel tout scintillant de souvenirs, à travers une véritable voie lactée de noms charmants ou de noms illustres que j’avais traversée pendant ma courte apparition dans le temps, et qui avaient été autrefois ou qui étaient encore mes contemporains, mes compatriotes, mes amis, mes émules, mes rivaux, même mes ennemis. […] Mais au même instant un immense éclair, qui sembla entrouvrir le ciel derrière nous sur la dent de Jaman, perça la brume et vint se répercuter sur l’écoute blanche d’un petit yacht qui cinglait à travers ces montagnes d’écumes, la proue sur Genève, comme un goéland, une aile dans la lame, l’autre dans le nuage. […] Ces lignes nous ont été communiquées récemment par une personne qui lui fut chère, et qui revoit sa physionomie à travers le temps, à travers la mort. […] Je vis descendre par les rudes sentiers, en face de ma fenêtre, à travers les châtaigniers, une caravane de voyageurs, hommes, femmes et enfants, les uns à pied, les autres sur des mules au pied réfléchi, comme dit le poète. […] Rien n’égale ma secrète volupté d’esprit, quand je pense que ces deux hommes, qui ont fait jadis tant de vain bruit dans ces murs, se glissent maintenant impunément à l’abri de tout écho et de tout regard à travers cette multitude qui ne connaît plus leurs visages et qui ne sait qu’à peine leurs noms.

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